Avec le soutien du Ministère de l’Écologie,
du Développement Durable et de l’Énergie

Interview de Laure Fallou, chargée de recherches sociologiques au CSEM (Centre sismologique euro-méditerranéen). Travaille actuellement sur le projet européen CARISMAND (http://www.carismand.eu/) pour lequel elle est en charge du volet sur l’utilisation des technologies en cas de crise. Elle s’intéresse plus particulièrement à la façon dont la culture influe sur cette utilisation et comment il faut prendre en compte ces différences culturelles lorsque ces technologies sont développées.

1) Quels sont les objectifs du projet CARISMAND?

Le projet CARISMAND (Culture And RISkmanagement in man-made And Natural Disasters), financé par la Commission Européenne, part du constat que les facteurs culturels influent sur la perception du risque, mais aussi sur les émotions et les comportements des citoyens lorsqu’une catastrophe survient. Par exemple, les rôles attribués à chaque sexe dans les sociétés amènent les hommes et les femmes à tenir des conduites différentes en cas de crise, sur la protection des enfants, la reconstruction ou la recherche d’information. La culture a également un impact fort sur le travail des organismes de gestion de crise (comme les pompiers par exemple) et leur communication auprès des citoyens.

L’objectif est donc de mieux comprendre l’impact de ces facteurs culturels pour promouvoir une gestion de crise qui soit à la fois plus efficace et plus respectueuse de ces différences culturelles.

2) Quel est l’origine du projet CARISMAND? (histoire du projet, promoteurs…)

Le projet CARISMAND fait suite à un appel d’offre de la Commission Européenne (H2020 –DRS-2014) qui cherchait à améliorer la gestion de crise en prenant en compte les aspects politiques, culturels, religieux etc. Au sein de l’Union Européenne les cultures de crises sont très différentes et les risques sont très divers. L’enjeu était donc de fournir une expertise de différents domaines des sciences sociales (notamment le droit, la sociologie, la psychologie et les sciences cognitives) afin, non seulement d’affiner la connaissance de l’impact de la culture sur la gestion de crise, mais aussi de développer un outil concret. Cet outil à destination des managers de crise pourra leur permettre de mieux évaluer, dans leur domaine, l’influence de la culture sur leurs propres pratiques et sur celles des citoyens.

3) Quel est le public concerné par la recherche? (pays, population, type de catastrophes)

Le projet CARISMAND s’intéresse à tous les types de crises. Pour chaque cas d’étude on identifie les caractéristiques de la catastrophe qui ont influé sur les comportements (si elle a été anticipée et prévue, si la conscience du risque existait, si elle a duré longtemps ou non etc.) Par ailleurs, pour avoir une vision complète de la catastrophe on s’intéresse à toutes les phases du cycle : de la prévention jusqu’au retour à un état considéré comme « normal » ou même amélioré.

Le projet s’intéresse à la fois aux citoyens européens, et aux managers de crise. La vraie force du projet c’est de pouvoir interroger directement les citoyens européens puisque nous organisons 6 « sommets citoyens », avec une centaine de participants à chaque fois. En parallèle nous organisons également des ateliers avec des responsables de gestion de crise dans de différents pays européens. Cela nous permet de mieux identifier les différences culturelles dans leur façon de travailler mais aussi leurs besoins en termes de communication avec les citoyens.

4) Quel est le but et l’intérêt pour la société?

Dans l’ensemble, les résultats du projet permettront d’améliorer la résilience des communautés face aux crises. Cela passera par la mise en lumière des meilleures pratiques de gestion de crise qui prennent en compte les différences culturelles. L’outil qui sera créé permettra d’améliorer la gestion de crise de façon générale.

On voudrait aussi mettre en avant des exemples dans lesquels les citoyens se sont emparés des outils technologiques pour participer à la gestion de crise. C’est d’autant plus important qu’on s’aperçoit qu’il y a beaucoup d’apprentissage autour de ces pratiques. Typiquement le #PorteOuverte a été lancé après les attentats du 13 Novembre à Paris et a été ensuite repris pour ceux de Bruxelles et de Berlin. Ce genre de bonnes pratiques gagne à être connu des citoyens et on peut penser qu’elles peuvent ensuite être utilisées dans le cadre d’autres crises ou catastrophes.

5) Observez-vous des différences dans les mécanismes de résilience entre les différentes cultures? 

Les premiers résultats montrent que les mécanismes de résiliences sont très liés à la culture. Des facteurs culturels comme la perception des risques, la confiance dans les autorités, la culture technologique ou les rôles de genre ont un grand impact sur la manière dont les citoyens réagissent face à une crise, mais aussi sur les actions qu’ils prennent avant et après.  Par exemple, les sommets citoyens nous ont permis d’identifier des différences liées aux premières personnes contactées en cas de crise, entre la Roumanie et Malte. Quand les uns préviennent d’abord les secours les autres préviennent en priorité leur famille. Par ailleurs, alors qu’il y a une très grande défiance en Roumanie vis-à-vis des autorités et des services d’urgence, les réseaux sociaux permettent progressivement de rétablir la confiance notamment parce que le lien et la transmission des informations y est plus rapide et directe. Au CSEM on observe aussi que les utilisateurs de notre application LastQuake s’emparent différemment de l’outil. LastQuake permet d’obtenir des informations très rapidement sur les séismes ressentis (grâce à un système de détection unique qui repose sur le crowdsourcing et le flashsourcing). L’app permet également aux personnes qui ressentent un séisme de témoigner et de décrire les effets, et en analysant les commentaires laissés on s’aperçoit qu’en fonction de l’origine géographique la nature du témoignage varie. Par exemple, lorsqu’un séisme est ressenti en Algérie les dimensions émotionnelles et religieuses sont très présentes mais les messages sont assez courts. A l’inverse, Etats-Unis ils sont plus longs et fournissent une multitude de détails (parfois d’ordre privés) sur toutes les conséquences du séisme. LastQuake offre également la possibilité d’envoyer un SMS à ses proches en cas de séisme violent, mais d’après les tous premiers résultats (qui restent à confirmer) on  observe que les italiens l’utilisent proportionnellement moins que les américains. Ca peut s’expliquer par une utilisation culturelle différente de ce mode de communication, mais aussi par le coût d’envoi d’un SMS, plus élevé en Italie. Cela ne veut pas dire que ces différences culturelles diminuent la résilience de cette communauté, mais simplement que les mécanismes sont différents. Et surtout, cela confirme qu’il est impératif de prendre en compte la dimension culturelle pour améliorer la résilience.

 6) Quand pourrons nous connaître les résultats de votre recherche? (congrès, publications, articles)

Les résultats sont publiés régulièrement sur le site du projet. L’ensemble des rapports sera disponible d’ici la fin 2018. Les articles et publications liés au projet sont également disponibles sur le site. Pour plus d’actualité sur les résultats on peut également suivre le compte Twitter du projet @Carismand. Vous pouvez aussi vous abonner à la newsletter à partir du site.

7) A qui peut-on s’adresser pour obtenir plus d’informations sur le projet?

L’équipe chargée de la communication se fera un plaisir de répondre aux questions sur le projet, vous pouvez envoyer un mail  à office@carismand.eu. Je serai également ravie de répondre aux questions sur le volet qui me concerne, c’est-à-dire l’utilisation des technologies en cas de crise et la façon dont la culture l’impacte.

 

POUR EN SAVOIR PLUS…

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