Par
Bernard B
en rapport à
Effondrement mine (Courrières)
Emportant à la hâte leurs vêtements accrochés à un bois, Wattiez et Bauchet, qui se trouvent dans le treuil reliant les veines Joséphine (326) et Louise (280), remontent en courant à l’étage 280 où lis retrouvent Boursier, Henri Castel, le galibot Martin, Nény, le petit Anselme Pruvost, Tourbier et deux autres camarades.
Que s’est-il passé? Que faire? Gagner l’étage 231. Dans la bowette : des gaz ! … Le chef de file donne l’alerte. Vite, ils reviennent sur leurs pas. A mi-chemin, les uns après les autres tombent, victimes d’un début d’asphyxie. Anselme gît sur le sol, la face contre terre ; près de lui, sur le côté droit de la figure, sa lampe restée allumée : la flamme lèche son visage.
Combien de temps dura cette inconscience générale ? Une heure ? Le bon air revenu, chacun reprend ses sens. Les lampes sont encore allumées, sauf une. Celle du pauvre Anselme. En bougeant, il avait étouffé la flamme. Il est griève¬ment brûlé à la face. Il souffre atrocement. Ses camarades tentent de le consoler.
Il est environ 9 h 30 quand le groupe reprend sa descente vers l’étage 280. Les gaz, encore les gaz, empêchent l’accès de la bowette ! Suivant le courant d’air qui passe dans les bowettes, les malheureux, éperdus, montent, descen¬dent dans le treuil : prisonniers des gaz
Vers 10 heures cependant, à l’étage 231,l’air semble assaini. Le groupe gagne l’accrochage. C’est le salut !
Avant d’alerter les services du jour, chacun se restaure même le pauvre Anselme, malgré ses souffrances : l’heure du « briquet » est passée depuis longtemps, la faim tiraille les estomacs.
A la longue, ils s’étonnent. Personne à l’accrochage. Aucun bruit, pas même celui familier du glissement de la cage le long des guides.
Quelques coups frappés sur des tuyaux dans le puits y a-t-il âme qui vive ? D’un étage plus bas, on répond. Des camarades qui attendent également que la cage vienne les chercher. Sans doute, un accident dans le puits ; il n’y a qu’à prendre patience : ce n’est pas la première fois, et ce ne sera pas la dernière.
Prendre patience? Nény, un Auvergnat qui travaille depuis six mois à la fosse 3, ne partage pas ce point de vue. Il suggère de retourner au bas de la veine Joséphine, à l’étage 326. A peine engagés dans le plan incliné, les jambes flageolent, les genoux se dérobent. C’est la dégringolade sur une trentaine de mètres.
Morts? Non, évanouis … Pendant combien de temps ? … Wattiez, le premier, reprend ses sens. Il écarquille les yeux : c’est l’obscurité absolue. Que lui est-il arrivé? Il se sent seul, il appelle. Une réponse à travers des pleurs c’est Anselme. Sa figure le fait tellement souffrir ! Boursier se réveille à son tour. Puis le jeune Martin.
Wattiez appelle son camarade de travail, Bauchet. Pas de réponse.
Dans la chute générale les lampes se sont éteintes. Martin a des allumettes, il rallume quelques lampes. Près d’eux, Bauchet, Tourbier, Henri Castel et leurs deux autres camarades râlent ; leurs corps se convulsent. Ils meurent … Ils sont morts … Les yeux des survivants s’emplissent de larmes …
La flamme des lampes vacille : l’huile vient à manquer. Bientôt, ce sera l’obscurité complète. Et le désespoir.
Wattiez roule une cigarette qu’il allume à la lampe de Martin. Il pense à son gosse de six mois, à sa femme jeune et jolie. Lui mort, le temps effacera la douleur. Elle se remariera. Mais son gosse, comment sera-t-il accueilli dans le nouveau ménage? …
Un gémissement l’arrache soudain à ces sombres pen¬sées. Tâtonnant, Wattiez avance, cherche : Nény est tombé dans un trou plein d’eau. Il le tire de sa fâcheuse position, et l’enguirlande. Tout ce qui est arrivé, c’est de sa faute ! Pourquoi avoir quitté l’accrochage? Nény se plaint : mal à la tête, épaule démise, jambe cassée? Il souffre, se lamente.
Wattiez reprend son calme, réfléchit, se ressaisit. Il faut explorer les environs. Boursier et Martin l’accompagnent tandis que le pauvre Anselme reste en compagnie de l’invalide Nény.
Arrivés à la bowette 326, stupeur ! Tantôt, ils avaient pensé que leur remonte n’était pas possible dans l’immédiat du fait d’un simple incident. Ils voient : des bois de soutènement cassés, le toit effondré. Et des cadavres partout ! Ils comprennent le silence du puits : une catastrophe a ravagé la fosse !
Sont-ils seuls ? A tout hasard, Wattiez tape sur les tuyaux. Son appel est entendu. De la veine Adélaïde, à l’autre bout de la bowette, on répond ! Mais qui? Impossible de passer au travers des éboulis, impossible de savoir
Les trois hommes reviennent au pied du treuil où sont restés Nény et Pruvost.
– Retournons à l’étage 231, lance Wattiez. Nény rechigne, gémit
– Je suis ici, j’y reste ; jusqu’à ce qu’on vienne me délivrer. Je souffre trop pour faire le moindre effort.
Le jeune Martin, ébranlé par ce qu’il vient de voir, décide de rester avec Nény.
Avant de se séparer, ils mangent ce qui reste dans leur mallette. Au cours du repas, Wattiez essaie de convaincre Nény et Martin de les accompagner. En vain …
Après bien des péripéties, Boursier, Wattiez et lé petit Anselme arrivent à l’accrochage 231 qu’ils avaient quitté deux jours plus tôt. Ils ont faim, ils ont soif. Ils retrouvent la mallette abandonnée là par Nény. Ils se partagent un maigre repas. Epuisés, ils essaient de dormir. Le froid les saisit. Ils se lèvent, courent. C’est la fièvre, et peut-être la folie …
Quel démon les avait poussés à écouter Nény, à quitter cet accrochage ? …
Samedi soir, Simon dit Ricq avait visité l’étage 280. A l’étage 303, il avait découvert plusieurs camarades vivants, ceux qui sans doute avaient répondu au groupe WATTIEZ. Ricq avait alors lancé des appels dans le puits. Ah ! s’ils étaient restés à l’accrochage 231 ! C’étaient dix rescapés en plus ! L’idée de Nény a déjà été fatale à la moitié du groupe. Quant aux autres, sont-ils condamnés à mourir, enterrés vivants ? …
Mais qui donc avait répondu à Wattiez à l’autre bout de la bowette de la veine Adélaïde ? …
En ce matin du 10 mars, entre les étages 280 et 326, dans une taille du quartier «Adélaïde», Noiret et Lefebvre détachent à coup de pioche le charbon de la veine. Au bas de la taille, Danglot et son aide ouvrent une brèche. Le charbon abattu tombe sur des tôles placées à même le sol. Dubois et Vanoudenhove, deux jeunes rouleurs de 17 ans, le chargent dans une berline.
Soudain une détonation, sourde, assez lointaine. Danglot et son aide s’interrogent du regard.
– C’est probablement un coup de terrain, dit Danglot.
Et chacun de reprendre son activité. La berline pleine, les rouleurs la poussent vers sa destination.
Dans la taille, Noiret a ressenti la secousse ; il en est tout étourdi. Lefebvre également.
– Il doit se passer quelque chose d’anormal, dit ce dernier en regardant son camarade.
Tous deux descendent la taille et, dans la voie, rencon¬trent les rouleurs que vient de rejoindre Couplet, un gars de 18 ans. Son cheval ne peut plus marcher. A cause des gaz ! Il faut partir, et vite.
Ils courent avertir leurs camarades. Danglot alerte dans la taille Cuvelier et Louis Castel qui à leur tour appellent le raccommodeur Pruvost et son galibot Delplanque, 13 ans, occupés un peu plus haut. Tous avaient bien entendu un bruit Inhabituel. Mais cela est si courant au fond qu’ils n’y avaient guère prêté attention.
Que s’est-il passé? Que faire? Ils tiennent conseil, et décident de descendre par le beurtiat à l’étage 326. Là, des cadavres ! Et une fumée âcre, soufrée.
Anselme Pruvost est le plus ancien du groupe . Sur ses conseils, ils remontent à l’étage 280, Danglot en tête suivi de Cuvelier. A l’orifice de la cheminée qui donne accès à la bowette 280, les gaz forment un écran infranchissable ! Cuvelier tourne de l’œil. Ça lui frappe dans la tête. Ils rebroussent chemin, anxieux, incommodés. A 326, ils trouvent un cul-de-sac où l’air est respirable. Une chance ! ils peuvent s’y loger à onze !
L’un consulte sa montre ; il est 9 heures. Ils sont prisonniers. Momentanément, car, au « jour », sans aucun doute, on s’emploie à rétablir la ventilation de l’air au fond, et bien vite les voies seront débarrassées des gaz. La marche a creusé les estomacs. Ils s’installent, sortent de leur mallette le traditionnel « briquet ». Ils mangent et attendent.
Les heures passent. A 15 heures, toujours rien. L’inactivité pèse. Couplet qui avait prospecté les environs signale un éboulement, côté sud, facile à dégager. Sortant de leur abri, ils font quelques mètres. Pruvost juge l’éboulis trop important. Ils frappent sur les tuyaux à air comprimé. Des coups sans écho ? Et pourtant, à l’autre extrémité, des hommes comme eux n’ont-ils pas entendu ?
En route pour 280 ! A cet étage, toujours les gaz ! Ils se sauvent. Les gaz les poursuivent. Ils s’affalent, sans dire mot.
Qui renaît à la vie le premier? Dans les ténèbres, huit voix répondent à l’appel. Trois silences : Cuvelier, le petit Delplanque et l’aide de Danglot, tous trois victimes des gaz…
Le frère de Danglot et son oncle travaillent à l’étage 326. Danglot insiste pour y aller. Par le beurtiat. La descente s’effectue en file indienne, sans difficulté. Et pourtant, ils ne se retrouvent qu’à six au pied du beurtiat ! Danglot et Lefebvre seraient-ils morts?
Au loin, des pas pesants? Que se passe-t-il?
Avant de quitter les lieux, les deux retardataires avaient tenu à dire un dernier adieu à leurs trois compagnons.
L’aide de Danglot respirait encore ! Le tenant, l’un par la tête, l’autre par les pieds, ils descendaient le beurtiat ! Dans le noir le plus absolu.
Friction, bouche à bouche maintiennent leur camarade en vie. Pour combien de temps? Il faut faire vite, et d’abord voir clair. Au cours des pérégrinations les lampes se sont éteintes. De l’huile, il y en ‘a bien encore. Mais personne n’a d’allumettes.
Le neveu de Pruvost tombé à la tête du beurtiat doit en avoir dans une des poches de son jupon. Pruvost et Noiret regagnent la voie jonchée de cadavres. Dans l’obscurité, à tâtons, ils les tournent, retournent, fouillant des lambeaux de vêtements. Est-ce une profanation? Leur vie, celle de leurs camarades sont en jeu. Ils trouvent enfin une boite. Ce doit être une « régie française ».
Quelle chance ! Bientôt on y verra clair. Sur le frottoir, un glissement mou … Deux, trois allumettes sont essayées … Pas de craquement. Elles sont humides ! Déçus, ils rejoignent leurs camarades.
Sécher les allumettes? Mais comment? Dans les che¬veux des uns et des autres. Au bout de trois ou quatre heures … , une allumette craque. Enfin ! Une lampe est allumée.
Cette lumière tant attendue dévoile des visages fanto¬matiques. Les regards se croisent, silencieusement … L’aide de Danglot est mort …
Mais à quoi sert d’y voir clair s’il n’y a plus rien à manger, s’il n’y a plus rien à boire. A quand remonte le dernier repas? Ils pensaient lumière, et maintenant leur estomac crie famine. Trois camarades sont déjà morts. A qui le tour? …
Pendant ce temps, au jour, on ferme le puits 3 par un plancher étanche … On bouche également les orifices des puits 4 et 11 … Des hommes errent dans la mine meurtrière … Le renversement d’aérage leur sera-t-il fatal ? …
Extrait de « Billy Montigny au coeur de la catastrophe de Courrières »
Galerie des photos associées
Aucune image jointe
Fichiers associés (PDF)
Aucun fichier joint
Ressources externes
Aucun document annexe joint