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inondés Somme
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Inondations (Picardie, Haute-Normandie)

Entretien du 06/03/2013 avec un sinistré (AD) des inondations de la vallée de la Somme du printemps 2001. Interviewer : EC

EC : Pouvez-vous expliquer les étapes des inondations telles que vous les avez vécues ?

AD : Oui. Deux – trois jours avant vraiment la crue, on a vu l’eau arriver derrière, au niveau de la pelouse si vous voulez. Et bon, on s’inquiétait un petit peu mais sans penser à ce qu’on allait vivre et j’avais à cette époque ma petite fille qui était là et c’était le jour de son anniversaire, je m’en souviendrai : le 2 avril, et on devait la ramener sur Lille. Et on est donc partis, on est rentrés le soir et il y a eu un orage.
Et quand on est rentré le soir, on a mis une pompe au niveau du garage, si vous voulez, sans toujours penser… bon on s’est dit « mince, c’est quand même… » et le lendemain, on a vu l’eau arriver vraiment d’un seul coup, la maison encerclée. On a essayé de mettre des sacs de sable tout autour pour dire de… mais bon, rien n’y faisait. Voilà. Et après, bon, ben… les pompes, les… tout ce qu’on pouvait faire quoi mais bon, rien n’y faisait, l’eau était là et il fallait attendre que ça s’en aille, c’est tout.
Donc on a resté ici sept semaines sous l’eau. Au niveau du garage, il y avait 90 cm, la porte a été soufflée par le truc. Donc dans la maison, forcément il n’y avait rien mais dans le sous-sol, on a été tout le temps dans l’eau. Mais bon, on vivait normalement dans notre maison. Et on n’a pas eu de problèmes de sanitaires, les problèmes des gens qui sont plain pied.

Bon, moi personnellement, l’inondation par elle-même, je ne l’ai pas trop mal vécu parce que je ne quittais pas la maison, je rendais service à des amis à côté qui eux ne pouvaient plus rester, enfin… ne pouvaient que dormir là-haut. Où j’ai très mal vécu c’est après. Une fois que toute l’eau est partie, quand on a vu tout ce qu’il en restait, c’est là que je l’ai plus mal vécu si vous voulez.
De mémoire, c’est ce qui me reste. J’ai encore la vision de l’eau parce que c’était pas… Mais après c’était la désolation. En plus, on s’attache un peu à ce qu’on a et puis, c’était il y a douze ans. Tout ce qui était terrain, arbre fruitier, tout était au top quoi…. Après il faut tout recommencer. Voilà.

EC : Comment vous vous avez supporté personnellement l’inondation ? Vous avez un peu répondu mais est ce que vous voyez des choses à préciser ?

AD : Non… Ce que j’avais mal si vous voulez, c’était de voir mon mari partir travailler. Il fallait prendre la barque, c’était quand même. On a dû enlever les voitures mais bon. Mais moi autrement ici je vivais normalement… Des choses qui m’amusaient : je faisais mes carreaux et je voyais refléter mon image dans l’eau. Voilà, c’est… Mais je vous dis, c’est après. Je pense qu’il y a des gens que c’était pendant et moi j’ai eu le contre-coup après. Parce que bon, il faut tout refaire et quand vous commencez à nettoyer, je me souviens qu’il avait fait très très chaud. C’était au moment de l’ascension puisqu’on a été jusqu’au mois de mai dans l’eau. Et il y avait les moustiques parce que comme on est en terrain marécageux et je me souviens qu’on était avec une tante et un oncle et qu’on poussait derrière l’eau la terre, on essayait… Et au fur et à mesure qu’on poussait, l’eau revenait. On s’est dit « c’est pas la peine, on ne va pas faire ça pendant trois-quatre jours ».
On est parti. Pour dire de ne pas… Et puis ça séché un petit peu et on a pu se remettre en route. C’est un peu les trucs que j’ai vécu le moins bien.

EC : D’accord. Vous m’avez déjà expliqué un peu le début, la fin de l’inondation… Comment ça s’est déroulé plus précisément pendant l’inondation ?

AD : Moi je vous dis, je vivais normalement, j’allais faire mes courses, je vivais normalement. Bon, un truc que je n’aimais pas trop c’est qu’on avait des gens qui… Bon, c’était très bien, des gens qui nous apportaient ce qu’on voulait pour manger mais comme moi je pouvais sortir, j’avais de la réserve et je disais : « non, je n’ai pas besoin, donnez à des personnes qui en ont plus besoin ». Parce que moi je ne me sentais pas du tout dans le besoin si vous voulez. Et on me disait oui et quand j’étais parti et que les gens passaient, j’en avais plein le truc. Et comme on n’était que deux, j’ai dû jeter des cageots entiers de bananes. Et ça, c’était un truc, je me disais « c’est quand même aberrant, je ne suis pas là et puis même quand je suis là, je n’en veux pas ». Pour moi c’était quand même du gaspillage si vous voulez.
Autrement, non, j’ai fêté mon anniversaire, on a des amis qui venaient, on vivait normalement. Ils prenaient le tout quoi. On vivait normalement.

Mais où je dirai que ça allait beaucoup mieux… Parce que si vous voulez, au départ on avait huit pompes et mon mari se levait toutes les deux heures parce qu’il fallait remettre les pompes, il fallait… Enfin, je ne sais plus comment ça se pratiquait. Donc on a eu des gens qui sont venus nous aider mais après on a eu un autre système, des pompes électriques qui elles marchaient mais ça c’était assez dur quand même car mon mari se levait et le lendemain il partait bosser. Bon, et puis ce qui me faisait mal aussi, c’est que tous les matins, il allait mesurer en bas des trucs là, la hauteur si vous voulez. Il y a des moments où il disait « ça y est, ça a baissé », d’autres où « c’est remonté ». C’est ces choses là qui ont été un peu difficile mais je me disais : « ne te plains pas parce que toi tu restes dans ta maison ». Je pense que s’il avait fallu partir, ça aurait été difficile.
Par contre j’ai dû me séparer de mon chien parce qu’il ne pouvait pas aller faire ses besoins. Donc ça c’était… C’est une amie qui me l’a pris.

EC : Est-ce que vous saviez que votre domicile était vulnérable aux inondations ?

AD : Non, et d’autant plus que nous on ne s’attendait pas à ça. Parce que moi je suis née juste à côté. Mes parents vivaient à côté, mes grands-parents étaient maraichers et là où on a même bâti, tout ça avant c’était du jardin, c’était cultivé. On savait que c’était un terrain qui était très gras, très marécageux. Mais il y avait des fossés aussi, qui étaient entretenus. Après ce qu’on a fait, même nous personnellement, on a rebouché les fossés. Mais il n’y a jamais eu d’inondations, jamais, jamais, jamais. Et jamais je n’ai eu le souvenir des mes grands-parents disant « on a été inondés » etc.

EC : D’accord, donc le terrain ici appartenait à votre famille déjà.

AD : Oui, oui.

EC : Est ce que vous pourriez préciser quels types de dommages matériels vous avez subis ?

AD : On avait le congélateur, on n’a pas tellement eu… Bon, si on a eu les sols forcément, on a eu les murs parce que l’humidité est montée. Mais en appareil ménager, je ne me souviens pas parce qu’on avait tout surélevé. Et puis bon…

EC : Vous aviez eu le temps ?

AD : Oui, parce que quand on a vu lorsqu’on mettait les sacs, on s’est dit « oh la la ». Mais en bas il n’y avait pas grand chose : une machine à laver, un congélateur, un sèche-linge. Ce n’est pas comme si… on a tout dans la maison si vous voulez, c’est pour ça qu’on a eu le temps. Après on a une pièce là, juste à côté, qui est plain pied mais si vous voulez, on a eu un peu de dommages aussi au niveau des meubles. Elle est quand même surélevée, il y a une marche comme ça. Mais bon, on n’a pas eu de gros, gros dégâts. Par contre, on s’est aperçu quand même après. Si vous voulez, on avait du matériel de plage, de camping, qui était dans des meubles et ça après quand on l’a retiré, tout était moisi. Et ça comme on ne l’a pas vu, on ne l’a pas dit. Mais bon, c’était pas méchant, c’était pas…

EC : La pièce qui était meublée, c’était… ?

AD : C’est une pièce pour quand il y avait les anniversaires, pour les booms quand on avait les enfants, des trucs comme ça. On l’avait aménagé, si vous voulez. Donc il y avait des meubles… bon là on l’a aménagé autrement. Mais d’ailleurs, elle est restée après, puisque les enfants ne sont plus là depuis longtemps… Après ça, on n’avait plus le goût, on a fait un petit peu un débarras après. Tout ce qu’on avait déplacé, on le remettait dedans. Mais bon, c’était pas une pièce où on vivait régulièrement. Mais bon, on sent quand même qu’elle a beaucoup souffert parce que là on l’a refaite et on a fait ce qui s’appelle un loft, une chambre d’hôte comme ça, pour dépanner. Et en dessous du mur, il y a déjà des tâches de moisissures. Donc… On sent qu’il y a eu une humidité par le dessous, qui restera…

EC : Il y avait des objets ou des meubles de valeur dans cette pièce ?

AD : Pas des meubles de valeur, c’était des meubles de récupération…pas des meubles de valeur.

EC : Parmi ces dommages, est-ce-que certains vous ont affecté plus que d’autres ?

AD : Non, parce que c’était pas des… Bon, ça aurait été ici, oui… Mais bon en bas non… Non ce qui m’a le plus affecté c’est mes arbres fruitiers, mes troènes, ma pelouse (rires), mes fleurs.

EC : Quelles ont été les conséquences à terme pour vous ?

AD : Il fallait racheter donc…Financièrement on n’a pas tout fait d’un coup. Tout ce qui est extérieur, il faut savoir que ça n’a pas été pris par les assurances : les arbres fruitiers, les troènes, les thuyas…

EC : D’accord, donc ça, ça a nécessité des travaux de replantation.

AD : Ah oui, bon c’était matériel, c’était…

EC : Est ce qu’on vous a proposé à un moment donné de quitter votre maison ?

AD : Non.

EC : Et si on vous l’avez proposé ?

AD : Non, j’aurais refusé.

EC : Au moment des inondations, étiez vous mariés ?

AD : Oui

EC : Votre situation a changé aujourd’hui ?

AD : On est retraité mais non. Bon, moi personnellement, il y a des gens… Moi je suis du genre où j’aime pas trop remuer… Vous voyez là je fais vraiment un effort. C’est pour ça que je n’ai pas voulu faire parti de l’association car je ne veux pas revivre tout ça. Parler à des gens, il faut quand même, donc…Bon il y a des moments où j’y pense mais bon… Si, j’y pense, comme en novembre décembre qui a été fort pluvieux, je me disais non… Quand je vois l’eau arrivée là chez les voisins, sous les sapins, je me dis « non, c’est pas vrai », j’ai encore l’image où je voyais l’eau arrivée petit à petit. Mais bon, on n’y pense pas tous les jours quand même.

EC : Et avez douze ans de recul, que regard vous portez sur cette catastrophe de 2001 ?

AD : De la tristesse, de la souffrance quand même. De la souffrance surtout, de la souffrance des gens qui… Un peu plus loin, il y a un monsieur qui s’est suicidé… Et puis bon, c’est quand même une situation qui n’aurait pas dû avoir lieu. Il y a quand même eu une histoire de robinet qui a été ouvert pour protéger Paris… Enfin, il y a beaucoup de gens qui le disent… Enfin, nous personnellement on est convaincu que s’ils n’avaient pas ouvert, je crois que c’est au niveau de l’Oise… je ne sais plus… Et après tout ça, c’est venu chez nous. Bon, il y avait un problème de nappe phréatique donc forcément, comme les terrains sont très marécageux… Mais c’est la goutte d’eau qui a fait déborder quoi.

EC : Pensez-vous que cet événement a changé quelque chose en vous ?

AD : Je dirai que je m’attarde peut-être moins à des petites choses… Je me suis dis, « j’ai vécu des choses plus importantes donc ça tu peux les vivre mieux ». Parce que bon, c’est quand même assez dur de vivre ça. C’est des choses qu’on ne voudrait pas revivre. Je pense que maintenant… Et puis il y a l’âge aussi… Et puis j’ai eu un problème de maladie, j’ai eu un cancer pendant quelques années… Qui était peut-être justement… Bon, il y a des multitudes de facteurs mais c’est peut-être un tout. Parce qu’on combat, on combat et il arrive un moment où on ne peut plus combattre pour soi-même si vous voulez. Donc maintenant, il y a des petites choses qui me paraissent des futilités. Mais je crois que si ça m’arrivait, je crois qu’il faudrait que je parte quand même. Je n’arriverai plus à vivre ce que j’ai vécu.

EC : c’est-à-dire ? Partir…

AD : Partir de la maison.

EC : Partir au moment de l’inondation ou déménager complètement ?

AD : Ah non, déménager complètement non, parce qu’on a tellement d’attaches…

EC : Et est-ce que vous pensez que cette inondation a changé l’investissement que vous avez habituellement pour votre maison ?

AD : Non… Toujours le même. Oui, parce que je vous dis, on a refait une pièce, on a retapé…

EC : Il arrive qu’une catastrophe crée des bouleversements dans la vie mais paradoxalement ces bouleversements peuvent parfois s’avérer positif. Est-ce qu’avec le recul il y a quelque chose qui a changé favorablement pour vous ?

AD : Non…

EC : Le fait de vivre cette inondation a-t-il changé quelque chose dans votre famille en négatif ou en positif ?

AD : Non… Non… Dans la famille vous dîtes…. Non… Bon je n’ai pas beaucoup de famille malheureusement mais les gens étaient là pour nous si vous voulez… Non…ça restait… Non…

EC : Au niveau des liens que vous avez avec votre voisinage, ou avec votre famille, est-ce-que vous trouvez que ça a changé quelque chose ? En positif ou en négatif ?

AD : Non… Bon, c’est plutôt peut-être plus positif que négatif en tout cas… On se voyait peut-être plus avec les voisins. Pendant un temps oui, on se voyait plus. Bon, il y a aussi le train-train, les gens qui bossent, les gens qui bossent pas. Mais effectivement on se voyait plus et puis comme après on faisait un peu des réunions ou des barbecues, pour dire… Donc si, au niveau amis, au niveau voisinage, c’était plus positif…

EC : Vous vous êtes faits des amis grâce aux inondations ?

AD : Non… Non parce que pour une bonne raison, c’est que nous on est quand même en retrait de route, donc on est un petit peu en décalage. C’est pas comme les gens qui sont en bord de route qui étaient inondés et ils sortaient, ne serait-ce que pour prendre le courrier, ils voient la voisine, ils voient tout ça, même s’ils ne se connaissent pas, là ils se parlaient si vous voulez. Non, ça n’a pas…

EC : Parce que l’inondation est allée jusque devant.

AD : Oui, elle est arrivée par derrière mais elle est allée jusque là bas, sur la route. Mon mari et mes voisins qui ne sont plus là avaient une pirogue et on a fait de la pirogue sur la route. Mais c’est arrivé derrière. Nous on a été encerclés, c’est tout.

EC : Le fait de vivre cette inondation vous a-t-il appris quelque chose ?

AD : Appris quelque chose… Comment vous répondre… Oui, par exemple, maintenant, ça m’a appris… On n’y pense pas mais… Et on ne pense pas que ça peut arriver ailleurs. Et maintenant quand j’entends qu’il y a eu d’autres inondations, je me dis « mon Dieu, mais qu’est ce qu’ils vont vivre ». Appris, si vous voulez… Comment vous dire ça… Peut-être à regarder plus autour de moi. Vous voyez ce que je veux dire ? A faire plus attention autour de moi, à être moins dans mon centre. Moi maintenant quand j’entends parler d’inondations, je suis prise, avant ça me le faisait pas parce que je ne l’avais pas vécu… Maintenant ça me prend.

EC : Combien de personnes vivaient avec vous au moment de l’inondation ?

AD : On était deux. Les enfants étaient partis. Avant ils étaient dans le nord et au moment des inondations… Ah mais il y en avait une qui était déjà… Mais ils n’ont pas vécu… Heureusement.

EC : Et vous expliquez qu’il y avait des personnes qui vivaient avec vous… ?

AD : Il y avait nos voisins qui ne pouvaient pas manger, qui ne pouvaient pas se laver mais qui ne voulaient pas quitter leur maison. Donc ils étaient là du petit-déjeuner jusqu’au soir et ils dormaient à l’étage chez eux. Et ça, bon, c’était des amis très proches. Ils ont tenu le coup parce qu’ils étaient avec nous. Et peut-être que nous on a tenu le coup aussi parce qu’on était à quatre. Peut-être que si on était à deux, mon mari comme il était fort fatigué, peut-être qu’il aurait pu craquer, ou moi. Mais là on était quatre donc… On rigolait bien… On faisait des parties de cartes, on faisait… Il fallait bien occuper.

EC : Après les inondations, est-ce qu’il y avait des personnes qui vivaient en plus ici ?

AD : Non non.

EC : Avant les inondations de 2001, aviez vous déjà été inondé ?

AD : Non.

EC : Depuis, avez-vous été de nouveau inondé ?

AD : Non.

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