Par
M - Anonyme
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Covid-19 – Coronavirus
Le matin commence par un doute : cette situation est-elle bien réelle ? et se prolonge par un sentiment de reconnaissance : il n’est rien arrivé pendant la nuit. Le soleil force l’entrée de la chambre à travers le store, et annonce une nouvelle journée de confinement. Nous vivons à deux dans une chambre de bonne, et il faut se mettre chacun son tour à la cuisine, à la salle de bain, ou à la fenêtre. Nos déplacements sont bien fluides maintenant, et nous ne faisons plus tomber les objets. Le lit est rapidement rangé pour laisser place à un espace de travail pour deux. Je m’installe sur des coussins, tandis que mon compagnon, qui est architecte, a installé son grand écran et ses deux ordinateurs sur notre table.
Le premier jour, j’étais très éparpillée. Je voulais répondre à toutes les sollicitations à la fois, proposer mes services partout, je disais oui à tout, et je n’arrivais à avancer sur rien. Les gens qui doutent ne sont pas très bons dans la gestion de crise. Je suis interne en santé publique, actuellement en stage dans une institution, et mes services sont encore utiles dans mon service, y compris par télétravail. J’ai aussi rejoint un groupe qui fait de la veille documentaire. Pourtant une partie de moi est en colère contre moi-même. En colère d’être repliée à domicile. En colère de ne pas être aussi exposée que mes amis médecins généralistes, infirmiers aux urgences, réanimateurs, ou psychiatres. Parfois la colère prend des chemins étranges…elle s’exprime par des détours. Je me justifie sans qu’on me le demande sur mon isolement contraint. Je suis irritable parfois. J’imagine que mes voisins se demandent pourquoi je suis encore chez moi alors que les hôpitaux ont besoin de renfort. J’interprète leur regard, j’y lis du mépris. J’attends la fin de mon isolement, j’attends de pouvoir participer aux activités de gestion de crise la semaine prochaine.
Faire quelques mouvements le matin et le soir m’aide à rester dynamique. Je suis descendue deux ou trois fois dans la cour de l’immeuble, pour faire quelques séries de circuit. A la fin de la séance de sport, je m’allonge sous un grand marronnier qui chaque jour développe davantage de feuilles avec le printemps, et les nuages passent tranquillement. Un enfant m’observe par la fenêtre. Une femme aux traits tirés fume une cigarette au troisième étage. Je téléphone longuement à mes amis et à ma famille. J’entends leur voix inquiète, et on se raconte des blagues. C’est eux qui me donnent les statistiques. Elles sont de toute façon peu fiables, vu la restriction des tests. Je n’écoute pas la radio et je n’ai pas la télévision. Je lis les articles scientifiques qui sortent chaque jour, et je préfère ce langage scientifique froid et rationnel pour absorber les informations. Il m’arrive de me sentir débordée par ce flot de nouvelles. Je ne sais plus où chercher, je ne sais plus ce que j’ai déjà lu ou non. Dans ces cas-là je vais faire un thé. J’imagine, probablement à tort, que boire chaud élimine un éventuel virus qui se serait logé dans ma gorge.
20h arrive toujours soudainement. Beaucoup de gens de ma rue se mettent sur les balcons pour applaudir les soignants. Les enfants crient « Bravo ! » tout étonnés qu’on ne les dispute pas de faire du boucan. Le boulanger et sa femme sortent sur le trottoir et participent. Hier un voisin a lancé pour nous tous une chanson française sur sa sono. Nous sommes restés à l’écouter penchés à notre fenêtre dans la fraicheur du soir, jusqu’à la fin, nous l’avons remercié avec des applaudissements. Il nous a lancé « bonne soirée ! ». Le silence des rues permet d’entendre les oiseaux et de laisser entrer le soleil et le vent. L’air est léger. Les pensées sont lourdes. En confinement je me sens à l’abri, et peut-être j’ai honte d’être à l’abri.
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