Avec le soutien du Ministère de l’Écologie,
du Développement Durable et de l’Énergie

Par
Bernard B
en rapport à
Effondrement mine (Courrières)

SOMBRE LENDEMAIN Sur le carreau de la fosse 2, une femme va et vient. Pleurant. Sanglotant. Toute la nuit, elle est restée là. Debout. Marchant. Tournant en rond. Elle ne veut pas partir. Elle veut revoir, vivants ou morts, ses trois fils ...

Elle espère. Les gaz, en effet, n’empêchent plus l’accès du puits. Les sauveteurs ont pu descendre et, au cours de la nuit, une trentaine de victimes ont été remontées. Les unes dans le réfectoire, les autres dans un bâtiment annexe, elles reposent alignées, ensevelies.
Des fourragères apportent des cercueils. Entre-temps, le service d’ordre’ a été renforcé.
Par train spécial sont arrivés en gare de Billy-Montigny 300 hommes du 3ème génie. Le général Lebon, commandant le 1er corps d’armée, les généraux Chomer et Jacquelot sont là. On fait appel au 33ème régiment d’infanterie : un bataillon est mandé d’urgence.
Une partie des militaires gardent les bâtiments publics, les autres sont répartis entre les trois fosses. Les 5ème et 8ème compagnies du 33ème d’Arras occupent la fosse 2.
150 gendarmes sont également venus renforcer leurs collègues sur les lieux. Une section de gendarmerie, sous les ordres du capitaine Lenys de Béthune, reste en permanence à Billy-Montigny, prête à toute éventualité.
La mairie, la poste, les locaux administratifs de la Direction des mines de Courrières, de nombreuses maisons particulières sont pavoisés de drapeaux en berne, cravatés de crêpe … Billy-Montigny est en deuil.
Revenus d’Arras par train spécial, les ministres et leur suite arrivent vers 7 heures à la fosse 4 pour y rendre un dernier hommage aux victimes de la catastrophe.
Ils interrogent ingénieurs et porions, s’inquiétant des travaux de déblaiement et s’enquérant des causes de la catastrophe. Cerf , un ouvrier mineur, donne ses impressions.
Deux cadavres horriblement brûlés sont remontés … Les ministres se dirigent vers le bâtiment où sont rassemblées les victimes. Ils se recueillent devant les corps. Gauthier soulève un coin de linceul, recule. Ses yeux s’emplissent de larmes …
Les personnalités montent ensuite sur un wagon plate-forme tracté par une locomotive qui les conduit à la fosse 3 où elles ne font que passer, puis à la fosse 2 où elles s’inclinent également devant les victimes remontées au cours de la nuit.
De là, elles regagnent Lens qu’elles quittent vers 10 heures pour Paris.
Venant de Lens, de Douai, de Lille, des trains déversent en gare de Billy-Montigny, aux haltes de Méricourt et de Sallaumines un flot ininterrompu de personnes. De tous les coins du bassin minier, par rail, par route, on vient sur les lieux de la catastrophe.
Nombreux sont ceux qui, anxieusement, se dirigent vers la demeure de parents.
Pour beaucoup, ce sera la nouvelle déchirante : ceux qui étaient au fond ne sont pas remontés. Ou bien, ils ont été remontés : morts.
Pour d’autres, la rencontre se traduira par un soupir de soulagement : le frère, le beau-frère, l’oncle, le cousin, le neveu n’étaient pas affectés au poste du matin. Une joie cependant mêlée d’une indicible tristesse ; la solidarité est de règle chez les mineurs : les peines sont partagées.
D’un peu partout sont également arrivés des mineurs venus offrir leurs services pour participer aux opérations de sauvetage.
Sous un ciel gris, la foule, d’une densité extrême, a envahi les communes meurtries. A chaque pas, on croise la douleur. On ne parle qu’à voix basse.
A la fosse 4, les travaux de déblaiement sont menés activement. Dans le puits 11, la cage descend bois et matériels en quantité importante.
L’éboulement des bowettes rend cependant la tâche très pénible, dangereuse. Il faut étayer avec précaution. Les hommes se relaient fréquemment. On avance prudemment. Quelques cadavres sont dégagés.
Vers 10 heures, arrive Basly. Il assiste à la remonte de deux corps, se rend à la salle des blessés où les médecins s’affairent à réanimer un sauveteur, Fleury Tabary d’Avion.
A 12 h 30, le nombre des cadavres remontés depuis la catastrophe s’élève à 33. La plupart sont méconnaissables corps noircis, dévorés par le feu, déchiquetés par l’explosion. Ils sont alignés dans une galerie attenant à la lampisterie. Des membres du personnel ont reconnu : Fernand BLAISE, Victor Joseph CLEMENT, Antoine DEFAYE, Elie LAURENT, Henri POLLART, Léandre SYLVESTRE. Parfois, il y a doute est-ce le corps d’AUBERT, d’OUDART ou celui d’un certain SENECOT ? …
A la fosse 2, plus de 30 victimes ont été remontées au cours de la nuit.

Près d’une porte, affichée, une liste de victimes.

La foule se presse derrière la grille. Des femmes insistent pour avoir droit d’accès au dépôt mortuaire. En vain.
A la fosse 10, dans une écurie, étendus sur un lit de paille, dix corps ensevelis. Dont ceux de Henri BERTIN, Gustave BOTTI, Constant CHAVAUDRA, Antoine DEBETHUNE, Jean-Baptiste DELBART, Charles DESCAMPS, Henri DROMBY, Fernand LIEGEOIS.
Entre-temps, Ricq, après une brève apparition à la fosse 3, s’était rendu à la fosse 10. Il veut descendre et en avoir le cœur net : qui sait s’il n’y a plus de mineurs vivants? Il veut tenter une nouvelle exploration du 3 par le 10, expédition jugée dangereuse. Il insiste tant et si bien qu’il obtient l’autorisation de descendre.

Il est alors 8 heures. En compagnie du chef-porion Pélabon, et sous le contrôle de l’ingénieur des mines Leprince¬-Ringuet, le groupe reprend le chemin suivi la veille. Le beurtiat de 303 à 326 est démoli ! Dans la bowette Nord, à cause des éboulements, impossible d’aller au-delà de la veine Amé. Dans la bowette du Midi, des hommes écrasés, des chevaux morts. Tous les accrochages du 3 sont visités : aucun être vivant. Sur le chemin, à l’aller comme au retour, aucune trace de vie.
A 14 heures, c’est la remonte. De cette expédition, l’ingénieur en chef Léon conclut : inutile de tenter d’autres recherches.
Face au nombre des victimes, face à la misère qu’engen¬drera la catastrophe, des décisions s’imposent.
Sur convocation du préfet, les directeurs des mines et les maires des communes concernées sont réunis à la fosse 4, à 14 heures.
Les obsèques des victimes se dérouleront dans chaque commune mardi à 11 heures. Les victimes non identifiées seront groupées à Méricourt-Corons. Cependant, pour permettre un rassemblement général dans ce dernier lieu, il est possible que les cérémonies soient avancées d’une heure dans les autres localités.
Le problème des funérailles étant réglé, il est décidé de former un comité de secours dont le préfet est nommé Président.
Peu après, celui-ci s’apprête à quitter le carreau de fosse. Deux femmes s’avancent, secouées de sanglots. Sept fils et frères descendus samedi matin. Depuis, aucune nouvelle. Elles supplient : qu’on leur permette de rechercher ces fils, ces frères, parmi les cadavres non identifiés.
Doucement, à grand-peine, on les repousse.
Entre les morts et la foule, une barrière. Une barrière qui tantôt a été ouverte pour laisser passer des convois de cercueils fabriqués dans les ateliers des mines de Lens, Liévin et Dourges. Une barrière que l’on ouvre maintenant pour la sortie des fourgons funèbres. Une condition de passage à travers la foule : que l’on donne les noms!
Des scènes insoutenables.
Il y aurait encore une centaine de cadavres au fond. Mais …

Georges Touzé, un sauveteur, vient de remonter. Il a tenté d’explorer le fond. Ce ne sont qu’éboulements sur éboulements. Des cadavres partout. Le chaos. En outre, plus on s’éloigne, moins l’air est respirable. S’avancer trop loin, c’est aller au-devant de la mort.
Au fur et à mesure de l’avancement des travaux, le nombre des sauveteurs atteints d’un début d’asphyxie croit. A la fosse 4, comme au 2 et au 10.
A cause de l’atmosphère surchauffée, à cause des odeurs cadavériques, il faut aérer fortement. Mais les venti¬lateurs des puits 2 et 4 attirent en même temps vers ces puits les gaz qui ont envahi les chantiers du 3.
Que faire? Dans le bureau des plans de la Direction Générale à Billy-Montigny, sont convoqués pour 16 heures
les ingénieurs du corps d’Etat, ceux de la Compagnie des mines de Courrières et des Compagnies voisines, ainsi que les géomètres des fosses sinistrées.
Quelle est alors la situation?
Il résulte des constatations faites dans les chantiers du fond que tout espoir de retrouver des vivants doit être abandonné. Reste à remonter le maximum de cadavres dans les meilleurs délais, et sans compromettre la vie des sauveteurs.
Delafond, après avoir écouté les avis donnés, prend la décision suivante : fermer l’orifice du puits 3 qui, de ce fait, deviendra un puits de sortie de l’air entrant par les puits 2 et 4, lesquels seront aménagés en conséquence. Ainsi, les sauveteurs pourront avancer plus profondément dans les galeries et y relever les cadavres.
Il est en outre convenu que si le ventilateur du 3, au besoin renforcé par un second ventilateur, ne peut assurer un aérage correct, les recherches par le 4, où la pénétration dans les galeries s’avèrent difficiles par suite de l’importance des éboulements, seraient abandonnées. L’air serait alors aspiré par les puits 3 et 4 tirant ensemble sur le puits 2.
Vers 21 h 30, les bruits les plus divers circulent, mettant les foules en effervescence. Au 10, une équipe entière de sauveteurs aurait été victime d’asphyxie. Au 4, les femmes auraient envahi le carreau de fosse après avoir forcé le barrage de gendarmes. . .
Les abords du 10 sont déserts. Pas de victimes parmi les sauveteurs … Demain, par groupe de 20 à 25, les parents auront accès à la morgue pour tenter de reconnaître les victimes non identifiées .. .
A 22 heures, devant le danger d’asphyxie couru par les sauveteurs, les opérations de sauvetage sont suspendues. Au 4, tout le personnel remonte ; les quelque 200 ouvriers venus les remplacer sont renvoyés chez eux. Au 2 également, tous les sauveteurs sont remontés.
Il pleut à torrents.
Aucun homme n’a été sauvé ce dimanche.
Quelle vision du fond conservent ceux qui sans relâche ont participé aux travaux de sauvetage? Celle d’une mine ravagée, démantelée. Des débris humains épars, des cadavres sans nombre …
Les fosses 2, 3 et 4: une gigantesque nécropole.

Extrait de “Billy Montigny au coeur de la catastrophe de Courrières”

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Commune

Courrières 62710

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