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Par
inondés Somme
en rapport à
Inondations (Picardie, Haute-Normandie)

Entretien du 18/03/2013 avec un sinistré (AE) des inondations de la vallée de la Somme du printemps 2001. Interviewer : EC

EC : Est ce que vous pouvez expliquer les étapes de l’inondation de 2001, telles que vous vous les avez vécues ?

AE : J’ai été prévenu par un voisin que les inondations, l’arrière du pays était inondé et moi étant en déplacement tous les jours à l’époque, je n’ai pas prêté attention car je n’allais pas dans ces endroits là. Donc un beau matin il est venu me prévenir que l’eau montait sur la rivière de la propriété. Et en l’espace de deux heures, de la maille feu, j’ai vu arriver de l’eau dans la pelouse et le voisin, Mr X à l’époque est venu me prévenir que ça continuait à monter.

Donc je me suis changé vite fait et l’eau a commencé à monter dans la maison, à lécher les murs et à monter progressivement dans toute la maison, pièce par pièce. Donc, comment dire, au départ c’est jean-basket. Deux heures après c’est jean-bottes et dans l’après midi, c’est cuissardes. Donc quand c’est comme ça, on appelle au secours la famille, les amis. On s’est dépêché de mettre en protection avec des parpaings, ce qu’on voulait sauver, les meubles… On ouvre les tiroirs en vidant les sacs comme des voleurs… On débarrasse ce qu’on peut débarrasser, on charge tout dans un camion et on s’en va. Donc l’eau continuait à monter.
Au bout de deux jours, dans cette pièce, j’ai à peu près un mètre et au bout d’un moment 1m50-1m60. Donc nous avons été recueillis par le cousin de mon épouse. On entreposait dans des sacs plastiques dans son garage toutes nos affaires, enfin tout ce qu’on a pu emmener. Et le reste a trempé, c’est foutu. Donc on est revenu le lendemain prendre ce qu’on pouvait…. On avait tout mis en hauteur, on a récupéré ce qu’on pouvait récupéré.
On s’est vite rendu compte que ça avait pris l’eau, que les meubles qui ont pris l’eau étaient foutu. Et que nous, on était à la rue… Comme 2500 personnes à l’époque. Donc il a bien fallu se faire une raison.

Et puis après c’est le cycle… pas le cycle infernal mais le parcours du combattant, appeler les assurances, consoler les enfants, son épouse, se consoler soi-même, parce qu’on n’a plus rien, disons en quatre heures de temps. C’est pas le marais du sud, la grosse rivière qui déborde, qui prend tout sur son passage et qui se retire, qui laisse un amas de bout dans la maison et qu’il faut nettoyer…passer au karscher… Et puis après on nettoie, on recommence, bon les dégâts sont énormes c’est vrai. Tandis que là, la maison a quand même trempé deux moi et demi dans l’eau. Puisqu’il a fallu un temps de désamorçage.
Il a fallu que les pompiers, la ville, les services concernés, la région, l’armée, la police, la gendarmerie, mettent tout en œuvre pour faire des barrages. Je vous parle de ça… au bout d’un mois et demi, ils ont commencé à pomper, ils ont fait venir des pompes de Hollande, qui ont coûté très cher d’ailleurs. Et le niveau d’eau a commencé à baisser et puis après on rentre dans la maison, les gens concernés, les assureurs viennent faire un état des lieux, ils vous demandent de faire une liste pour constater les dégâts, le moisi, la pourriture… l’infection qu’il y a pu avoir parce que ça drainait, ça vidait des fosses sceptiques. Ca passait à travers des transfos, comment dire… des transfos électriques. Ici c’était comme partout, c’était un bouillon de culture. Il ne valait mieux pas se couper…
Moi je venais ici avec des gants. Donc je venais pour… juste pour montrer qu’il y avait quand même une occupation des lieux régulière, parce que bon, c’est sa maison, on y vient tous les jours en rentrant du boulot. Je partais la journée… Et pour faire voir aux gens… Certains gens peu… comment dire… sans scrupules, qu’il n’y avait plus rien à voler ici… et que de venir en barque cambrioler les pauvres gens qui ont perdu leur maison c’était pas une solution non plus.

Voilà ce qui s’est passé. Ca s’est fait vite, on ne s’y attendait pas. Le pourquoi, on a essayé de nous l’expliquer donc, je veux bien. A tout problème, il y a une solution. La solution, je ne sais pas si on l’a trouvé. Les travaux qui ont été fait, en amont, en aval… Nous avons été la « Une » des médias pendant longtemps. Ce que je regrette d’ailleurs parce qu’en fait, les grandes villes, la capitale, pour ne pas les citer, ils donnent bien souvent une pauvre image des Picards, en interrogeant pas forcément les meilleurs et quand j’ai vu un reportage où on voyait interroger des gens avec la bouteille de Ricard sur la table… Ca donne une mauvaise image de la région.
Et moi je peux vous dire que ce n’est pas arrivé. Personne n’est rentré avec un appareil photo et je fermais ma barrière pour pas qu’on voit ma maison inondée. Et ça, je l’ai regretté et on l’a tous regretté. Les Picards sont comme tous les gens de France, il y en a des bons, des moins bons, des mauvais, des très mauvais. Et à chaque fois que les médias de la capitale viennent dans une région qui n’est pas la capitale, on interroge bien souvent les gens pour montrer qu’à part Paris, les autres ne valent pas grand-chose, donc c’est ce que je déplore un peu.

Il faut avouer que tous les gens de France ont répondu à notre misère à l’époque. Nous on n’a pas voulu en profiter, parce que d’abord on ne savait pas. Les informations ne circulaient pas toujours correctement. On nous a envoyé des tas de choses qu’on n’a jamais vu parfois… De l’eau, de la nourriture, des Karcher, du papier peint, etc. Donc bien souvent les gens ont vécu dans leur maison. Nous, on ne pouvait pas parce que c’était plein pied et puis je trouve que c’était très dangereux de dormir dans une maison avec un mètre d’eau en-dessous. Pour la santé, vous respirez… C’est pas… c’était pas fantastique.
Après le temps a passé, il a fallu vivre de logements… Pour nous personnellement, la famille E, nous avons déménagé quatre fois dans l’année. On ne pouvait pas vivre éternellement dans une chambre chez notre cousin. Parce qu’on avait les deux enfants qui étaient petits à l’époque. Donc on a retrouvé un logement qui était… Je ne vais pas dire insalubre mais pas terrible. Pour pas que ma femme fasse une dépression, j’avais même repeint sur le papier pour que ce soit à peu près propre. Après j’ai trouvé un appartement sur Abbeville, plus correct. J’ai eu la chance d’avoir une bonne assurance, qui a suivi… Donc ça, j’ai rien à dire.
Et puis la vie a continué, l’eau a baissé, puis c’était l’époque des devis. Là aussi, on a vu des choses pas mal. Du 100 %. J’en ai même un qui m’a demandé combien je possédais pour faire les travaux. Je lui ai même demandé si quand il allait chercher un costume si le marchand lui demandait combien il avait sur son compte. J’ai trouvé ça inadmissible. Alors, étant dans le commerce à l’époque, j’ai pu quand même me renseigner, faire travailler des petits artisans qui avaient des prix très corrects, qui faisaient des trucs magnifiques. Parce que moi, j’ai eu 100 000 euros de travaux ici. Donc il n’y avait plus rien, il n’y avait que les quatre murs. Il n’y avait plus de plafond, tout était foutu puisque l’assurance m’avait donné l’autorisation de tout casser puisque le moisi allait monter dans la charpente.
Et là, c’est là que longtemps après, il y a eu une polémique, j’ai fait malheureusement la « Une » des journaux. Parce que j’avais demandé moi si je pouvais abattre la maison puisque il y avait la fameuse histoire de Plan de Prévention du Risque Inondation (PPRI) donc je devais reconstruire de 50 cm. Donc… Alors que la gare qui a trempé dans l’eau plus… Elle, on lui a rien demandé. Mais enfin, c’est un monument, j’ai bien voulu passer là dessus, mais j’étais pas content à l’époque. Donc j’ai demandé un permis de détruire et un permis de reconstruire. L’assurance m’a répondu « non il faut reconstruire ailleurs ». Donc actuellement, si jamais ça revenait, ben on recommence. Donc j’aurai toujours 1m d’eau dans la maison et on ne va pas reconstruire, on va nettoyer et les assurances vont repayer…et ainsi de suite. Je ne sais pas si j’ai répondu à votre question…

EC : Oui, bien sûr. Du coup, le fait qu’il y ait le PPRI, ça ne change rien ?

AE : Si, bon, le PPRI a été fait, refait mais ça on l’avait signalé à la mairie puisqu’à l’époque un trait de crayon ça faisait 200m, donc c’était un peu du n’importe quoi au départ. Il a été refait… maintenant je ne sais plus ce qu’il en est, dans quelle zone on est classé, ni quoi, ni qu’est ce. Puisqu’on avait demandé avec l’aide de l’AVIA qu’on ne soit pas ennuyé pour revendre la maison puisque dans ce cas on doit le signaler au Notaire et il y aura une possible décote de la vente. Donc le PPRI au départ a été fait n’importe comment, il a été refondu. Il y a un recours qui a été fait. On n’en sait pas plus. En tout cas, nous pour l’instant on est bien ici, c’est notre maison, on n’a pas envie de la vendre. On n’a pas voulu profiter de l’assurance parce qu’il n’y avait plus de murs, il n’y avait plus rien, on a refait ce qu’il y avait à faire, on a refait la maison comme elle était, on a géré notre argent comme l’assurance nous l’avait donné. On n’a pas reconstruit un château, on a refait ce qu’il y avait à faire, point, c’est tout. On n’a pas profité de l’assurance pour partir aux Bahamas, on a tout mis dans la maison, on a les factures à l’appui. Ils nous ont tout demandé, on a fourni et j’ai encore toutes les factures.

EC : Est-ce-que vous pourriez maintenant expliquer comment vous, vous avez supporté l’inondation de votre maison ?

AE : Ben, au départ, c’était un peu l’angoisse, la surprise parce qu’on a eu peur. Ca fait peur de voir de l’eau arriver, même tout doucement. Et il y a eu du chagrin car peu de temps avant j’avais refait la salle de bain, les travaux… C’est de l’argent. Et les enfants ont été, à l’époque, traumatisés de voir leur chambre, leur armoire, leur lit, leur photos, leur nounours, tout ça trempé dans l’eau. Ma femme a tenu le coup parce qu’on est soudé. C’est un mauvais moment à passer parce qu’on se retrouve dehors en fait.
Quoi faire ? Si vous gagnez 10 000 000 d’euros au loto, c’est pas un problème, vous partez loger dans un château mais là c’était pas le cas. Donc la vie a continué, elle travaillait, moi aussi. Donc il a fallu continuer, à vivre et en même temps, un sentiment de colère parce qu’on ne trouvait pas ça normal. On ne savait pas d’où ça venait. On se demandait comment c’était possible, en l’an 2000, 2001 à l’époque, que des choses comme ça puissent arriver sans que personne n’ait les moyens pour prévenir. Au moins qu’on prenne nos dispositions, parce que bon, une catastrophe ça peut arriver… Quand il y a eu la neige ces derniers temps, Météo France a prévu qu’il allait y avoir de la neige.
Je sais pas, quand c’est arrivé, il y a des gens qui ont vu l’eau monter dans les baraques… On n’a rien su. Et ça nous est tombé dessus comme ça, donc… Voilà, il y a plein de sentiments qui se sont mélangés. Beaucoup de chagrin, parce que perdre ses biens, c’est jamais bien agréable. Et heureusement qu’il n’y a pas eu de victime en fait par rapport à certaines régions qui ont subi des dommages où il y a eu des morts. Je pense à la Vendée en particulier. D’autres régions… Orange, il y a très longtemps mais en Vendée récemment. Pour eux, le préjudice est encore pire parce qu’ils ont tout perdu, ils ont perdu des gens de leur famille. Nous, non. Mais enfin, comment dire… C’est pas une situation qui est facile à gérer.

Quand on est habitué… Il y en a qui sont inondés tous les ans, tous les deux ans… Dans le sud par exemple… Mais nous… Je vous dis, j’étais en costume avec mon attaché-case, près à partir une heure avant au boulot. Je trouve qu’il y a quand même un loupé quelque part. Et puis après c’était… comment dire… Le système D pour se sortir le mieux possible et continuer à vivre.

EC : D’accord. Vous avez déjà répondu à quelques questions, notamment sur la manière dont ça a commencé. Mais est ce que vous pourriez peut-être préciser comment ça s’est terminé cette inondation pour vous ?

AE : Ben quand l’eau a commencé à descendre, que nous avons pu regagner le domicile, c’est là que tout à commencer… Enfin… C’est là qu’a commencé le travail des experts, les constats. Parce qu’on ne pouvait pas faire de constat dans 1m d’eau. Savoir si la dalle avait bougé ou pas… Parce que la maison était foutue. Et c’est là qu’a commencé le périple de… du parcours du combattant avec les assurances, les experts et les artisans et dans l’esprit de faire au plus vite sa maison pour y revenir. Puisqu’il fallait tout construire, il fallait tout nettoyer. J’ai retrouvé des tas de choses dehors qui ne m’appartenaient pas : de poutres, des tas de saloperies… des immondices, tout flottait partout donc il a bien fallu nettoyer pour redonner un genre de vie à notre habitation. Et dans le but que les travaux commencent le plus vite possible pour venir pendre la crémaillère.

EC : Donc vous me disiez que l’inondation avait duré deux moi et demi.

AE : A peu près oui. Avril, mai… oui c’était à peu près ça. Je n’ai plus… vous savez 12 ans après, je n’ai plus … (rires)

EC : Oui je comprends. Saviez-vous que votre maison était vulnérable aux inondations ?

AE : Non, on s’en est rendu compte après et j’ai peut-être eu la chance que les murs se soit du béton, pour la dalle, plutôt que de la brique. Je vais vous expliquer pourquoi. Parce que dans une brique à peu près on peut… ca pompe a peu près un litre d’eau. Donc le poids engendré n’est pas le même que des murs en béton qui ne laisse rien passer. C’est peut-être ça qui nous a sauvé. Mais ça, on ne savait pas. J’ai six portes fenêtre en PVC, on n’était pas en amphibie, l’eau est rentré sans problème.

EC : D’accord. Vous avez déjà répondu un peu à la question mais est-ce que vous pourriez expliquer les dommages matériels que vous avez subis ? Vous me disiez que votre maison était un plein pied, donc toutes les pièces ont été touchées ?

AE : Il y a eu un mètre d’eau dans toutes les pièces, oui. Il n’y a pas d’étage et les combles ne sont pas aménageables… Ben, on a tout perdu en fait… les meubles, tout ce qui est le ballon, tous les meubles qu’on n’a pas eu le temps de démonter.

EC : Parce que vous avez pu démonter quelques meubles ?

AE : Pas beaucoup, tout ce qu’on a démonté, on n’a pas pu le remonter, ça avait gondolé… On a sauvé que ce meuble-ci. Le plus beau. La salle et tout le reste, on n’a pas eu le temps. Tout a trempé.

EC : D’accord. Donc ce meuble ci vous avez réussi à le monter sur parpaing ?

AC : On l’a monté sur parpaing et on l’a mis à six dans le camion. Et puis le reste, on était content parce qu’on avait sauvé tout le reste : plein de vêtement, blouson de cuir, etc. On a mis tout dans des sacs plastiques et tout a moisi dans les sacs plastiques, chez le cousin à mon épouse, dans son sous-sol. Donc tout était foutu. C’était au mois d’avril, il faisait froid, il pleuvait, il y avait de l’humidité, son garage n’était pas chauffé et c’est resté là-dedans cinq mois, donc tout a pourri. Quand on a tout sorti, tout était pourri, tout était mort, les meubles avaient pris l’eau, les murs, il y avait du moisi, des grosses plaques de moisi, des tâches noires. Vous savez, ça fait comme de la moumoute, c’ est… Ben vous avez les photos… Voilà. Donc ça parle. Il y avait plusieurs niveaux. Vous voyez le portail là-bas. Arrivé au portail, il y avait ça. C’est tout.

EC : Vous disiez que vous aviez tout perdu. C’est vrai que matériellement vous n’avez rien pu récupérer à part les murs de votre maison.

AC : Oui c’est ça. Bon, si c’était arrivé et reparti tout de suite. Mais là, ça a trempé…le moisi… Il a eu peur l’expert. Alors le problème, c’est que le premier m’a donné l’autorisation… Parce que j’ai tout jeté dans une benne et j’ai emmené chez gitem. Parce que moi, je ne savais pas où stocker, balancer tout ça. Et le premier expert m’a dit « Monsieur AE, vous pouvez casser les murs… », je dis « non monsieur, moi je ne démonte rien du tout ». Je dis « envoyez-moi un fax avec votre cachet, votre signature, l’autorisation du cabinet, comme quoi vous m’autorisez à casser les cloisons et à tout virer les … » Parce que la photo là que vous avez, ils n’étaient pas encore passé. Alors il m’a envoyé un fax, donc j’ai fait faire. J’ai demandé à mon assurance de m’envoyer un… Ça coûtait 5000 euros pour tout broyer.
Et le deuxième expert, après les inondations, il passe, il arrive dans la pièce, il arrive dans la maison, il n’y a plus rien, plus que les murs. Il dit « Vous êtes fou. Comment ça se fait ? Vous n’aurez rien. Qui vous a permis de casser vos… ». Je dis « attendez, voilà » (montre le fax de l’assurance). Je dis « comment on fait ? ». Il dit « je veux voir la liste de ce qu’il y avait dans la maison ». Voilà, ça s’est fait comme ça. Si je n’avais pas réagi correctement, c’était tout pour moi.

EC : Est-ce que parmi ces dommages, certaines vous ont affecté plus que d’autres ?

AE : Surtout nos coins les plus intimes. Tout en fait nous a affectés mais c’est surtout la chambre des enfants, notre chambre. Quand on voit le papier flotter sur l’eau, le papier peint, les dessins des enfants, tout ça, c’est pas très… Bah, vous avez les photos là. C’est pas très… c’est assez triste. Et leur réaction surtout. Les enfants ont dit « on ne pourra plus revenir à la maison ». Quand ils ont vu ça, bon…

EC : Vous avez déjà un peu répondu mais est-ce-que vous pourriez préciser quelles étaient les conséquences à termes pour vous ?

AE : Les conséquences, c’est-à-dire ?

EC : Vous m’avez par exemple parler des travaux, du fait que vous ayez été obligé de quitter votre maison…

AE : C’est ça, les conséquences c’est d’être obligé de quitter la maison.

EC : Ça a duré combien de temps ?

AE : Un an. Donc, on se plaisait pas où on était. Vous avez votre maison et puis… J’y passais régulièrement donc… Et quand l’eau s’est retiré, qu’on a vu les dégâts on a dit…(soupir)… On a dit « là, il y a du boulot ». Et ce qui est bien, c’est quand la reconstruction commence. On voit les étapes, le plaquiste qui est venu, qui a refait les pièces, on voit sa maison qui reprend forme et tout et puis on est un peu pressé que ça avance. Et le jour où on rentre dedans on est vachement, heureux quoi.
La plus grosse conséquence au départ… Le déménagement, c’est comme un oiseau qui a perdu son nid, il ne sait pas où se poser. Et les déménagements successifs, je ne vous cache pas que ça c’est pénible.

EC : Vous m’expliquiez que vous étiez logé chez un cousin, ensuite vous avez pris un appartement en location ?

AE : Non, la ville nous a prêté un logement pendant deux mois. Enfin, une maison abandonné par une vieille personne. C’était vraiment pas terrible, enfin bon, on avait un toit. Ensuite, en accord avec l’assurance, j’ai trouvé un appartement au dernier étage d’un immeuble. Un duplex, un beau duplex qu’on payait mais on était remboursé par l’assurance. Et puisque l’assurance a pris en compte les traites de la maison pendant un an donc les traites de la maison était reportées sur l’appartement. Bon, on payait, on payait un peu, c’était pas gratuit. Et le dernier déménagement c’était l’emménagement pour revenir ici. Là, c’est du bonheur (rires).

EC : Au moment des inondations vous étiez marié ?

AE : Oui

EC : Aujourd’hui votre situation n’a pas changé ?

AE : Non, toujours marié.

EC : D’accord. Avec 12 ans de recul, quel regard portez-vous sur cette catastrophe de 2001 ?

AE : Ben, mon regard n’a pas changé. On a essayé… Enfin la société, les spécialistes, le gouvernement a essayé de nous expliquer que c’est vrai qu’il a plu vingt huit jours sur trente et un au mois de mars 2001. Les nappes phréatiques étaient pleines, c’était marée haute… mais ça fait ça souvent depuis des années, des années et des années. Et il y a eu l’histoire, la fameuse histoire du canal du nord. Pour mon compte personnel, je suis persuadé qu’il y a eu un loupé quelque part. On ne le saura jamais… Si, quand tous les politiques seront partis, ne seront plus là, arrivés dans le ciel. On a beau m’expliquer par A+B qu’il y a des niveaux etc.
Il y a beaucoup de gens de la Somme qui sont convaincu qu’il y a eu un déversement du canal du nord chez nous. Il est évident qu’on ne peut pas mettre cinq litres dans quatre litres et ils se sont dit avec la baie de Somme, le canal de la Somme ça va s’écouler dans la mer par St-Valéry… Mais manque de bol… Tout ce que je vous dis là, ça ne regarde que moi. C’est mon avis personnel. Je ne suis pas un spécialiste et je ne veux pas m’attirer les foudres de guerre mais je ne changerai pas d’avis.
Et à l’époque, les écluses n’étaient pas comme maintenant. À Laon, c’était pas comme maintenant. Pour moi, il y a eu quelque chose en trop parce que je ne vois pas pourquoi ça a pu déborder. Une telle quantité d’eau. Je sais qu’il y a eu un mars 2001 pourri. On nous a pris encore une fois pour des… Je ne dis pas pour des idiots mais… Pas pour des analphabètes non plus… Mais on a bien voulu nous dire ce qu’on a voulu.
Moi, c’est mon avis, les gens pensent ce qu’ils veulent, leur programmation télévisuelle, moi ne m’a pas convaincu et voilà c’est tout, j’en reste là. Je ne suis pas… Je ne vais pas me battre contre des montagnes. On ne peut pas se battre contre l’État, c’est perdu d’avance. Que ce soit contre n’importe quel gouvernement, la raison du plus fort elle est toujours la meilleure. Donc… Mais enfin, le résultat est là : il y a eu 2 500 personnes d’inondées, 2 500 familles, pas 2 500 personnes, 2 500 familles, et cette eau est bien venue de quelque part. Un excès de nappe phréatique, je ne suis pas convaincu et je pense que je ne le serai jamais. Et comme je vous ai dit tout à l’heure, c’est mon avis personnel et c’est tout.

EC : Pensez-vous que cet événement a changé quelque chose en vous ?

AE : …

EC : Par exemple est-ce que ça a changé le rapport d’investissement que vous avez habituellement à votre maison ?

AE : Heu… non puisqu’un bon terrien aime bien avoir une maison confortable. On essaie de l’améliorer selon nos moyens. Non, la vie a continué normalement. Par contre on a toujours peur d’un orage violent… On a toujours peur de voir arriver ne serait-ce que 10 cm d’eau dans la maison… Je crois que ça nous mettrait très en colère et même si c’était uniquement un phénomène météo. Si ça a changé, on a… pas la phobie… mais l’eau… on est bien content de se foutre dans une piscine au soleil, on est bien content quand on se lave tous les jours comme tout le monde mais c’est tout, ça s’arrête là. On n’en veut plus dans la maison.

EC : Il arrive qu’une catastrophe crée des bouleversements dans la vie mais paradoxalement ces bouleversements peuvent parfois s’avérer positifs. Est-ce que vous, avec le recul, il y a quelque chose qui aurait changé favorablement pour vous ?

AE : Non… Puisque à l’époque, avec mon épouse, on s’est battu tous les deux pour résister parce qu’on ne passe pas toujours des moments faciles. Si… quelque part, ça nous renforce. Ça nous renforce dans l’adversité et on se dit que quand don a passé ça… hormis des choses beaucoup plus grave : perdre quelqu’un de la famille, de proche… Si, ça crée quand même des liens avec son entourage, avec des gens qu’on n’imaginait pas, comme les voisins. Tout le monde était là, il y avait quand même… Si, on a envie, on a envie d’aider les autres en fait. S’il arrivait quelque chose à mon voisin, je n’hésiterai pas à courir… De toute façon, je l’aurai fait déjà, mais encore plus maintenant en voyant qu’en fait tout le monde était là pour vous aider à porter les meubles dans un mètre d’eau glacée, en short et en basket à l’époque… Fallait quand même le faire.
Si, ça renforce un couple même s’il est déjà costaud, ça le renforce dans le malheur. Et on se rend compte qu’on n’est pas tout seul. Il y a des gens sympas qui viennent vous aider, qui vous apportent… Tous les dons qu’on a eu, que ce soit en argent ou en produit ou en matériel… Ça fait vachement plaisir et… La publicité, on n’en avait pas besoin mais tout le monde a répondu présent.

C’est un aspect… Et on dit toujours qu’en 2001, on a été inondé mais on s’en est sorti grâce à une participation généreuse, grâce à un couple bien soudé, une bonne assurance et tout. Quand on a toutes ces cartes là dans les mains, on est obligé de sortir un bon jeu. Voilà. Donc on est resté tous unis et puis, parce que bon, vivre dans une petite pièce quand on a un pavillon, c’est pas toujours marrant. Il y a des moments difficiles mais on en est sorti. Et on en sort peut-être plus fort. Et s’il arrivait un malheur sur la maison, à moindre échelle dirons-nous, on le prendrait peut-être plus avec philosophie qu’avant… Enfin… C’est mon avis…

EC : Le fait de vivre cette inondation, a-t-il changé quelque chose dans votre famille, en négatif ou en positif.. ?

AE : Non… C’est plus sur le plan positif parce qu’on a réussi à s’en sortir. Sur le plan individu, sur le plan sentimental avec nos enfants avec notre famille, notre entourage, c’est positif, ça a été, l’après inondation a été inondation. Pendant les inondations on traverse des mauvais moments mais on l’a vécu en positif pour ne pas déprimer. On s’est dit qu’après tout, c’est du matériel, c’est de la pierre, c’est du béton, ça se refait, tout le monde va bien, c’est ce qui comptait, voilà. Ca a été notre philosophie, voilà.

EC : Est-ce que le fait de vivre cette inondation vous a appris quelque chose ?

AE : Oui… L’humilité peut-être… Parce qu’on se retrouve, pas vagabond mais SDF du jour au lendemain en ayant des biens… Ben, on subit et puis… On subit obligatoirement… On s’adapte, on a appris à s’adapter. Et à vivre avec ce qu’on nous donnait, c’est à dire pas grand chose, pour après voir les choses sous un autre aspect sachant qu’on allait revenir chez nous. Bien que certaines personnes, leur maison était pratiquement foutue, ça a dû être plus dur que nous. Il y avait de l’eau dans la maison, quand les poissons sautaient dans la pelouse, parfois ça fait drôle. Et l’odeur nauséabonde et le bruit des vaguelettes qui claquent contre le mur quand on bouge dans la maison, ça donne plutôt envie de vomir qu’autre chose mais enfin bon, on s’adapte. Voilà.

EC : Combien de personnes vivaient avec vous au moment des inondations ?

AE : Nous étions quatre, les enfants et nous.

EC : Après les inondations pareil ?

AE : Oui

EC : Est ce que vous avez déjà été inondé avant 2001 ?

AE : Jamais.

EC : et depuis est ce que vous avez de nouveau été inondé ?

AE : Non.

EC : quelles raisons vous ont amenées à vous investir dans l’association AVIA ?

AE : Ben, j’ai trouvé qu’ils se sont battus pour nous, pour essayer d’obtenir des résultats au point de vue de l’administration qui est une machine très très lente et aveugle parfois. Il y a eu des réunions, il y a eu… comment dire… Il y a eu plein de choses entre sinistrés parce qu’on avait tous subis la même chose plus ou moins grave, ils ont fait un boulot formidable et je trouverais lamentable de ne pas continuer à en faire partie et dire « bon, on vous donne un chèque tous les ans pour continuer, parce que sait-on jamais ce qui peut arriver »… et ils ont fait un boulot formidable, je dis que c’est tout à fait normal, que c’est humain.
Il y a une vieille expression qui dit qu’un sucre avalé n’a plus de goût et ça je ne veux pas en entendre parler parce qu’ils ont tous été au top et on les remerciera pendant longtemps. Enfin, moi personnellement, je le vois comme ça, et je pense qu’il y a beaucoup de monde qui continue à adhérer. On ne va pas toujours aux réunions, soit parce qu’on fait du sport, on est invité, soit on est partis en vacances mais ils continuent à se défendre, à se battre, à exposer… Il y a eu une exposition à la mairie je crois, qui était super bien faîte. C’est un très gros travail et ça montrait aux gens, parce que les abbevillois ne se sont pas toujours rendus compte, ceux qui n’ont pas été inondés, de comment c’était. Non, je continue à adhérer et je souhaite que ça continue.

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Commune

Abbeville 80100

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