Par
inondés Somme
en rapport à
Inondations (Picardie, Haute-Normandie)
EC : Pouvez-vous m’expliquer les étapes de l’inondation telles que vous les avez vécu ?
AB : C’est-à-dire l’inondation par elle-même, c’est ça que vous voulez dire ou bien ce que j’ai ressenti ? Les deux à la fois ?
EC : Comme vous le souhaitez.
AB : C’est-à-dire que nous sommes dans le marais alors donc on a de temps en temps des petits coups d’eau, des petites montées, alors lorsque nous avons vu monter, on a fait comme d’habitude mais on a vu que c’était plus grave, que ça prenait une importance, tout doucement on a vu que ça montait du marais jusque chez nous. Alors, lorsque nous avons été prévenus, assez rapidement, mais tout de même, je ne sais plus si c’était le lendemain, une journée ou deux peut-être après, cette montée qui s’est faite, comment dirais-je ? De plus en plus rapide, on a été visité par les pompiers, une équipe de la ville et tout ce qui s’ensuit, qui nous ont prévenus, qui sont venus nous monter, dans le sous-sol par exemple, ils nous ont monté tout sur des parpaings. Et c’est à ce moment là que je réalisais que c’était plus grave que d’habitude parce qu’un petit coup d’eau de temps en temps quand il y a un orage, ça arrive, bon, ça part aussi vite que c’est venu et là j’ai été étonné, j’ai dit « mais qu’est ce qui se passe, ce n’est pas un peu exagéré ce que vous faîtes ? ». « Non, on a des ordres » etc. Bon alors ont été mis sur parpaings le congélateur, enfin tout ce qui avait en bas, que l’on puisse sauver et après c’est monté fortement, j’ai compris pourquoi ils sont venus et tout ce qui s’ensuit. Ça a monté fortement, heu… jusque… quand même assez rapidement d’une nuit sur l’autre si vous voulez, parce que lors que j’ai ouvert la porte pour aller au sous-sol, j’ai vu que ça attaquait les marches, alors je me suis dit : « c’est que quelque chose d’inquiétant » et puis après on a été informé par la ville et tout ce qui s’ensuit, bon, informé, vous ne savez pas quoi et… du jour au lendemain ça montait encore, je voyais une marche, la deuxième et la troisième… alors là je commençais à être un petit peu émotionné, je me disais « jusqu’où ça va aller, parce que moi j’avais de la liberté de monter mais je me suis dit « est ce que ça va aller au-delà ? », c’était inquiétant et seule hein, parce que j’ai perdu mon mari trois ans avant mais après on a eu l’information de tout, on a eu tout, aide, comment dirais-je, de part et d’autres, par les soldats, par ceci par cela, la ville est venu nous monter des passages en planches, et tout ce qui s’ensuit mais moi je ne sortais plus et dès qu’on a vu que ça prenait une importance, on a démonté le chauffage, donc je me suis retrouvé sans chauffage, c’était au mois d’avril ça donc il a plu pendant un mois, d’ailleurs je l’ai en photo et tout ce qui s’ensuit, il a plu pendant un mois complètement dans le mois d’avril, tous les jours, tous les jours, donc ça montait tout le temps. Et quelques fois ils disaient : « c’est descendu d’un centimètre ; c’est remonté de deux », ça faisait que ça. Alors donc je n’avais plus de chauffage, j’avais une cheminée heureusement, je me suis donc chauffé avec des morceaux de bois que des amis m’apportaient, des bracelets de bois, je n’avais plus d’eau chaude, on se lavait comme on pouvait et puis les toilettes et tout ce qui s’ensuit, je ne vous dis pas comme c’était pas rigolo hein. Bon, bref et les jours ont passé, ont passé et moi je suis resté là tout le temps sans bouger, j’étais dans mon île, et j’ai cru que ça n’allait plus partir. Et puis bon, la décrue a été très lente, ça baissait d’un petit peu, ça remontait, ça baissait… On vivait comme dans un… je sais pas vous dire… moi j’étais seule alors donc j’avais bien un petit peu d’amis, de famille et des visites des gens qui nous apportaient un peu d’eau, des choses comme ça… De l’eau, c’est un comble… mais de l’eau à boire parce que l’autre n’était pas… Et puis vous savez quand tout est parti, quelle puanteur, tout était abîmé, pollué, c’était une puanteur partout… Les gens jetaient tout, quand on allait au toilette, où voulez-vous que ça aille, ça allait par-dessus bord alors vous savez, il aurait pas fallu que ça dure longtemps ce truc là hein…
EC : Justement, cela a duré combien de temps pour vous ?
AB : Ecoutez, moi ce n’est pas difficile, regardez, je l’ai marqué, ça a commencé à pleuvoir donc ça a dû commencer en mars donc c’est quand même long. Bon là je ne suis sortie que lorsque c’était en décru. Mais lorsque… En même temps lorsqu’on se voit entouré d’eau comme ça… « il y a 26 jours de pluie en avril », « le tout à l’égout fonctionne ce jour, lundi 28 mai », donc vous voyez, complètement avril au 28 mai il n’y avait pas de tout à l’égout qui fonctionnait. Ici, « remise en fonction de la chaudière ce jour, 27 juin », donc vous voyez de mars à juin, je n’avais pas la chaudière. Vous voyez, ils l’ont sorti à temps après bon a eu tout à remettre en place. Je vous dis ce n’est que lorsque j’ai pu avoir confiance, parce que j’avais peur de m’enfoncer, parce que moi j’ai un point d’eau là haut et on ne le voyait plus si vous voulez. Bon là c’était le début, vous voyez ça donnait ça… Alors là nous quand on a un coup de flotte, ça se contente dans le chemin et vous savez quand ça a pris ces proportions là, je me suis dit, ça va mal aller, je m’attendais jamais à ce choc, je m’attendais jamais à ça. Alors après c’est les sous-sols qu’on retrouve comme ça, tout est sens dessus dessous… Tout a été inondé en bas. Ca montait sur les marches, alors tous les jours on est angoissé, est ce que c’est descendu… non ça ne l’est pas… ça a été très lent, très lent… Et puis lorsque l’équipe est arrivée qui sont venus de droite de gauche, donner u coup de main, jeter tout ce qui était tombé… Voyez l’armoire ici… Là c’est dans le sous-sol, où il y avait les outils…
EC : Le sous-sol a été complètement inondé jusqu’au plafond ?
AB : Ah non pas jusqu’au plafond. Vous voyez, là c’était en décru, moi je n’y allais plus. Ils essayaient de mettre toutes les affaires les unes sur les autres mais avec l’eau, tout ça se cassait la figure et puis j’avais une cuve à fuel qui se cassait la figure et puis c’est dans la nuit que j’ai entendu ça, alors on entendait des bruits, vous savez, la maison craquait, ça c’était un peu effrayant, parce que je me disais « est ce qu’elle va résister ? » Vous savez, il se passe de drôles de choses hein… Je ne bougeais pas, je restais couchée et puis c’est tout, qu’est-ce que vous voulez faire ? Mais lorsque la cuve s’est retournée, ça m’a fait peur parce que ça a fait un sacré choc si vous voulez, il n’y avait plus beaucoup de fuel dedans donc, la pression l’a retournée, pourtant elle était entourée de… elle était bien entourée… Oh oui, ben c’est pas rigolo mais après on s’y fait, qu’est-ce que vous voulez ?
EC : Donc ça a duré trois mois pour vous ?
AB : Pour moi ça a duré trois mois. Oui ça allait mais l’ensemble n’était pas remis au propre. Même là-bas j’ai des bêtes, tout trempé… Les bêtes on les avait mises sur une table… Les poules pour qu’elles ne soient pas noyés, bon il y en a qui se sont noyés bien sûr… Et les canards et les oies, vous savez quand elles n’ont pas un endroit pour se mettre au sec, ça a l’air tout bête de dire ça mais il faut qu’elles puissent se reposer et elles ne pouvaient pas, il a fallait leur mettre en hauteur des morceaux de planches pour qu’elles puissent manger et se reposer. A un moment donné ma petite fille a attrapé une chouette qui allait se noyer, elle était cramponnée sur un morceau… A la fin on a vu ça… Bon, cette bête elle allait mourir bien sûr, elle ne pouvait plus s’alimenter, elle ne savait plus où elle était… elle était comme nous (rires) et on l’a sauvé, on lui a donné un petit peu à manger et puis après on lui a dit « ben va-t’en » parce qu’elle était infernale après. Et elle s’est échappée, j’espère qu’elle s’est… J’ai encore de temps en temps une qui chante, c’est peut-être celle-là… On en ri après mais c’est vrai qu’il a fallu tuer nos animaux, j’avais des lapins, j’avais des bêtes tout ça… c’est pas la mort mais bon, c’est un bouleversement quand même.
EC : Justement, pouvez-vous m’expliquer comment vous l’avez vécu personnellement ?
AB : Je ne sais pas comment vous dire. Il y a pas de mots si vous voulez, c’est la nature qui est plus forte alors on est soumis, on se dit, on va boire… on va voir la suite des événements, je vous dis, je croyais que ça allait rester moi, parce qu’il y avait des poissons tout autour de chez moi, moi qui pouvait être à l’étage, il y avait de l’eau partout y compris autour, il y avait des brochets, toutes sortes de poissons, des carpes, des choses comme ça, on leur donnait des miettes de pains, des choses comme ça. C’est drôle de voir des choses comme ça, je ne sais pas, c’est autre chose si vous voulez, on verra plus jamais ce truc là, j’espère qu’on ne verra plus jamais ce truc là. Mais dans un sens, on l’a quand même bien vécu, qu’est-ce que vous voulez faire ? Après le coup, le choc de l’émotion, après on a eu la visite des employés de mairie, on avait chaque jours des gens de la mairie qui venaient voir si on allait bien parce qu’il y avait beaucoup de personnes qui étaient parties, moi j’ai dit « je ne partirais pas … si, à moins que la maison s’écroule » mais j’ai dit « non je ne vais pas bouger, tant qu’il n’y a pas de danger pour moi » j’avais ma cheminée qui marchait et puis j’avais la possibilité d’avoir encore de l’électricité que mon voisin m’avait donné, parce qu’autrement je n’en avais plus et donc c’était vivable. Sans que ce soit acceptable bien sûr pour toujours. Mais je vous dis, on ne sait pas ce qu’il va se passer après alors on attend, on attend parce que, que voulez-vous faire d’autre ? Chaque jour on se dit « demain ça ira mieux, demain ça ira mieux », mais non, c’était toujours reculé, c’était énorme ! Lorsque je suis sorti pour les premières fois parce que les routes étaient inondés, ils avaient mis des barres de bois, des planches, je suis sorti pour faire quelques courses sans doutes, et bien, qu’est-ce que je voulais dire, oui ! Quand je suis arrivée, parce que nous on est en contre bas, complètement dans la cuvette… alors, dans la rue au-dessus ça remonte, alors eux ils n’avaient plus d’eau, ils n’en ont pas eu. C’est nous qui avons été les seuls, dans cette cuvette, il y avait des fleurs de printemps alors que moi il n’y avait plus rien, il n’y avait que de la mousse et de la boue. J’avais oublié, je suis arrivée, ça, ça m’a fait une émotion, ça m’a presque choqué, j’avais oublié que les fleurs de printemps étaient là, c’est drôle comme quoi quand on est isolé comme ça, on ne voit plus les choses de la même façon et j’étais heureuse de voir les jonquilles qui étaient en fleur chez mes voisins plus haut.
EC : Vous êtes restée combien de temps sans sortir ?
AB : Oh, plus d’un mois, j’avais peur moi. Les gens au départ, je ne sais plus quel service est venu de l’armée, ils avaient un truc gonflable, je suis monté pour aller voir mes bestioles et après ils allaient voir les animaux là-bas mais autrement je n’aurai pas osé parce que je ne savais plus où j’avais pied… Il y avait des trous, des bosses… Et j’avais peur de m’enfoncer parce que c’est mou chez nous… Bon, alors je suis photographiée avec eux lorsqu’on allait en barque chercher un peu de bois car c’était mon seul moyen de chauffage car l’humidité en bas c’était affreux… D’ailleurs c’est toujours resté très mouillé en bas, pourtant ça fait des années. Maintenant est ce qu’on a plus d’humidité ? Moi je trouve qu’on a un peu plus le sol plus mou… Je ne sais pas si c’est parce qu’il y a un mouvement… est ce que c’est la vérité, est ce qu’on nous fait peur, est ce que c’est la fonte des neiges… on ne sait pas… c’est comme le cheval… on ne sait pas tout… comme le bifteck haché (rires)
EC : vous parliez de bouleversements : pourriez-vous décrire ce que vous ressentiez ?
AB : J’ai du mal à vous le dire. Je vous dis, j’ai été comment dirais-je, je me sentais très seule, isolée, à tout niveau… Alors quand on est venu après nous rendre visite, qu’on nous disait qu’il n’y avait pas de danger, je ne sais pas, on nous racontait un tas de trucs, de choses, sans doute, la mairie, les machins, après, que voulez-vous, on se dit on verra les événements, je ne peux pas vous dire, après les premiers bouleversements, la peur, l’angoisse, de voir que jusqu’où ça allait monté, on a été rassuré quand même et il s’est trouvé alors en nous une sorte d’apaisement quand même… il faut bien. Mais je ne peux pas vous dire mieux, c’est le ressenti, c’est difficile à expliquer, on est devant quelque chose, une inondation c’est épouvantable, vous ne voyez plus que de l’eau, je sais nager encore mais bon, jusque quand ? (rires)
EC : A quels moments vous vous êtes rendu compte que c’était inondé ? Est-ce que vous pourriez expliquer le tout début de l’inondation ?
AB : Ben oui, je vous dis lorsque j’ai vu la montée comme je vous ai fait voir, quand j’ai vu tout ça, bon il pleuvait, et quand il pleut chez nous, bon dans les chemins, tout ça, j’ai quand même de l’eau, mais quand j’ai vu tout ça, ça a été inquiétant quand même.
EC : vous l’avez vu monter progressivement ?
AB : Ben oui… Bon alors, ça s’est passé dans la journée et la nuit. On se voit ouvrir et regarder… Aller dans la cave, je n’osais plus parce que je ne savais pas. On a peur de … c’est pas l’habitude, on n’est pas dans notre éléments, on a peur de s’enfoncer, même si c’est dur dans ma cave, j’avais peur de descendre, de me casser la figure, d’avoir un obstacle que je n’aurai pas vu, qui aurait pu être… c’est très lugubre. Et en plus le soir, bon je ne suis pas peureuse, mon mari était décédé, j’avais eu le choc et après le choc de mon mari, j’étais seule, donc si vous voulez, je me suis quand même habitué, endurcie, à cette solitude, bien sûr là c’était une autre chose et s’il avait été là, j’aurai aimé qu’il soit là. A deux on est quand même mieux. Seule c’est très dur mais je n’ai pas été habitué à être chouchoutée, on a toujours eu la vie assez dure… Ce que je voulais vous faire voir… de quoi parlait-on ? Oui, quand c’était lugubre, parce que vous voyez, le soir par exemple, je voyais ça, c’était très beau remarquez, mais assez lugubre, effrayant un petit peu mais je n’ai pas le souvenir d’avoir été vraiment effrayé, c’était lumineux et on aurait cru que, vous savez ça, ça faisait doré et au couché, ça se reflétait, c’était très beau malgré tout, je ne peux pas vous expliquer… vous voyez mes bêtes là-bas, j’ai un point d’eau, je ne savais plus où était la mare, l’étang et le dur, tout était uniforme… c’était… pas envoutant mais… c’était un peu dur, c’est dur, ça que de voir que de l’eau et surtout que ça durait… J’ai jamais eu ça… Alors là ils venaient, les soldats avec leur bateau gonflable…
EC : ils sont arrivés au bout de combien de jours ?
AB : Ah eux, ils sont arrivés quand même un moment après parce que je ne pense pas que la mairie, tout ça ne pensait pas que … on n’a jamais vu ça… Moi il y a 45 ans au moins que je suis là, et je n’ai vu que des petits coups d’orage. Et comme là-bas c’était toujours bouché, ça venait toujours chez moi mais ce n’était pas pareil, on avait un coup d’eau qui rentrait dans le sous-sol… bon bien sûr c’est dégoutant mais ça s’en va comme c’est venu. J’ai jamais vu ça. Mais dans le coin, ils ont quand même dit… que dans le coin il y a, ils disaient tous les 100 ans, ou tous les 50 ans je ne sais plus, il y a un petit coup de flotte… vous savez, vous avez entendu, l’histoire de paris, qui avait voulu noyer… oui ils en parlent toujours… c’est pas le mot… on sait bien qu’on n’a pas voulu nous noyer mais il y avait tellement d’eau qu’il a bien fallu s’en défaire donc comme ça coule par chez nous, ça a peut-être débordé un peu quelque part, c’est l’explication qu’on peut se donner… Et puis chez nous il en est tombé… Tout le mois d’avril, tous les jours, tous les jours. Ça en fait de l’eau… Le marais c’est formidable, c’est une éponge. Quelques fois on dit c’est très mou et quelques temps après à cette époque ci ça sèche bien mais là elle n’en pouvait plus… (rires) Et vous voyez sur Paris, bon c’est idiot ce truc là mais bien sûr que ça a fait un foin terrible, et bien ma cousine y était à ce moment là lorsqu’il y a eu ça et il y avait un passage de je ne sais pas quoi et sur la Seine, il y avait plein d’eau, c’était coupé et le lendemain il n’y avait plus d’eau, ça elle peut me l’affirmer, elle me l’a affirmé à ce moment là puisqu’elle y était… Donc il y a eu certainement une ouverture quelque part… Il fallait pas laissé noyer Paris hein… Tandis que nous dans le marais, on nous payé et puis c’est tout.(rires) Il n’y a pas eu de noyés.
EC : est-ce que vous pourriez me décrire le moment où vous avez constaté que c’était la fin de l’inondation?
AB : La fin de l’inondation ? Quand la décrue a commencé… Bon, au départ, on se disait est ce que c’est le bon coup… ça bougeait d’un centimètre ou deux… parce qu’on parlait en centimètre là… Mais quand ça a commencé à descendre, on nous l’a confirmé bien sûr par la mairie, par les services de tout ça, ça a quand même été assez vite à descendre mais pendant un certain temps ça a stagné… Nous on est dans une cuvette donc si vous voulez, dans certains endroits, ça s’est peut-être mieux évacué, comme il y a eu sur Rouvroix, sur les Boulevards… Après quand ça s’est mis à se faire, c’est vrai que d’un seul coup ça a été rapide et ça, ça nous a surpris de la même façon que le plein. Le vide est parti comme une marée et là ça a été la découverte. Tous ces poissons qui étaient… c’est incroyable… il y avait des carpes, des monstres comme ça, je ne verrai plus ça, jamais, je ne le souhaite pas d’abord. Les carpes, les autres poissons, les brochets, quand il n’y avait plus que ça d’eau dans la pâture, ils étaient un peu effrayé mais ils se… ça faisait des éclats, c’est incroyable ça, ça faisait de l’argent qui frétillait… j’ai jamais vu des trucs comme ça, je ne verrai plus… il y a eu des belles choses dedans… Alors donc tout ça… comme je ne pouvais rien faire, j’étais chez moi, avec mon coin de feu, je pouvais observer tout ça… j’ai vu des canards, des bestioles, tout ça, manger dans l’eau, partout.
EC : Vous parliez de surprise au moment de la décrue, est ce que vous avez ressenti autre chose que de la surprise ?
AB : Aussi une surprise agréable aussi en disant « ah enfin, ça y est, on y revient ». Comme je n’y croyais plus, que je pensais que ce ne serait jamais parti, de par l’importance, je pensais que ça ne partirait plus… Parce que vous savez, depuis longtemps on le dit « il faudrait faire des réserves d’eau dans les marais », vous savez il y a tout ça, alors bon je me suis dit, c’est peut-être la nature qui se dit, bon ça va rester… Alors quand c’est parti, ben finalement c’est une joie et puis un étonnement aussi… j’étais très étonné de cette disparition assez rapide… Vous savez ça faisait ça fait déjà 12 ans, on finit par effacer mais bien sûr quand on parle, ça vous revient, bon bien sûr après c’est des dégâts, c’est la bagarre avec… bon moi je ne me suis pas trop bagarré, mon mari n’étant plus là. Lui il se serait surement bagarrer mieux mais on a été un petit peu… on a été indemnisé. Bon bien sûr ça n’enlève pas tout ce qui reste abîmé dans l’habitation. Il y a quand même des dégâts qu’on ne peut pas évaluer. Par exemple j’avais des outils… pas des outils mais des appareils, une tondeuse et tout ça des choses comme ça, une tondeuse tractée, tout ça ils n’ont pas pris… il aurait fallu avoir une assurance garage et tout ça. Mais les affaires, les meubles, on donnait des factures donc on a été indemnisé… Si c’était à refaire et je ne le souhaite pas, je serai mieux indemnisé, c’est tout ce que je peux vous dire. Parce que vous savez, je n’ai pas tiré… Ca me dépassait un peu tout ça… D’abord j’ai été aidé par l’AVIA, par un membre de l’AVIA qui a été très gentil avec moi, par mon petit fils parce que mon fils était occupé hors d’Abbeville mais moi c’était beaucoup en bas, moi c’était les outils… des outils j’en ai perdu… vous savez après les gens viennent avec des remorques et on vous enlève tout et puis tout ça disparaît… Non on peut pas dire qu’on fait des bénéfices mais bon, ça nous aide. Voilà, écoutez, il y a ce bouleversement qui se fait, après, bon on est revenu et on voit les dégâts. C’est au fur et à mesure des mois qui passent par exemple, là j’avais des haies, des arbres et tout ça, tout ça est crevé après. Il y a que cette partie là, bon qui était en très mauvais état mais qui a résisté le long du mur de mon voisin parce que vous voyez, c’est un peu surélevé donc elle s’est assez vite égouttée tandis que de l’autre côté c’est creux, alors ça s’en va de l’autre côté, alors tout a été pourri, ça ils ne l’ont pas repris.
EC : Vous saviez que votre maison était vulnérable aux inondations ?
AB : Lorsque nous avons construit, oui, d’ailleurs je ne voulais pas faire de sous-sol d’ailleurs. Alors donc je voulais que ce soit un petit peu monté sur un petit dôme de terre, je ne sais pas, je ne voulais pas de grande maison et c’est tout le contraire qui est arrivé. Heureusement que j’avais quand même un sous-sol, ça m’a permis de vivre là. De toute façon on nous recueillait, il y a eu des… on ne laissait pas noyer des gens. Et je le savais oui, mon mari était bien sûr vivant et à ce moment-là on nous a dit de nous mettre hors de la limite du sol, que je ne sais plus comment ça se dit, de tant de centimètres vous savez. Et donc on a été conforme, on s’est mis au-dessus mais on n’aurait pas dû faire de sous-sol, je suis la seule dans le coin à avoir un sous-sol. Les autres maisons sont bord à bord. Et ma voisine a eu un peu d’eau mais elle n’en a pas eu beaucoup dans sa maison, elle en a eu mais il était temps, il aurait fallu que ça monte plus. Tout ça dans cette cour, c’était inondé aussi mais ça ne rentrait pas tellement… des maisons anciennes, je ne sais pas, c’était plein autour d’elle mais ça ne rentrait pas trop chez elle, ça venait de par en dessous si vous voulez. Ça n’a pas fait comme moi qui, étant donné que j’ai une descente, moi ça demandait… c’est en entonnoir si vous voulez… ça ne demandait qu’à venir chez moi. C’est pour ça qu’on n’aurait pas dû faire de sous-sol mais mon mari voulait un sous-sol car vous savez on en bourre là-dedans mais malheureusement on en bourre trop.
EC : Justement, quels types de dommages matériels vous avez vu subi ?
AB : Oui, vous voyez, j’avais un vieux meuble qui venait d’une tante, j’y tenais, on a essayé de le remonter etc. mais ça a pris l’eau et ça ne se récupère pas. Ce n’est pas des meubles…. Si vous voulez, c’était des meubles, comment dirais-je, que l’on affectionne, par… il y a un terme mais ça ne me vient pas… Bon… j’avais des chaises Henry II, des choses comme ça, ça je l’ai déclaré alors on m’a donné un petit peu pour ça, on m’a un petit peu dédommagé. Ce que je pouvais donner, faire voir… fallait surtout pas jeter, il y a eu des choses de jetées sans qu’on ait eu le temps de faire « ouf », des vêtements, des machins… j’avais des penderies en bas, on n’en a pas tellement, on a jamais assez de place alors donc, les outillages, n’en parlons pas… mon mari alors lui… des meubles et des meubles avec beaucoup d’outillages… On a donné un petit peu ce que l’on faisait voir, on a pu expliquer mais, ça je sais que là-dessus, y a eu beaucoup des dégâts… des meubles, des aspirateurs, des meubles de cuisine, bon j’avais des meubles en formica, j’ai une table, là que vous voyez, elle est en formica, alors tout le chrome et tout ça… non qui n’est pas ici mais je veux dire que j’ai en photo.
EC : Il y a eu donc des meubles et des objets auxquels vous teniez…
AB : Ah oui, bien sûr, on tient toujours. Bon, les meubles en formica c’était ce que j’avais eu en me mariant, si vous voulez… après on a monté d’un étage, on a eu des meubles plus anciens, mais bon… on n’en meurt pas mais, il y a des choses auxquelles bien sûr on aurait aimé pouvoir sauver mais on n’a pas pu tout sauver… Bon après, j’avais acheté une belle petite table en marbre, alors elle a été sauvé… bon les pieds ont peut-être été rouillé, peu importe… Et lorsque les pompiers ont voulu la prendre elle s’est cassé en deux, je ne sais pas ce qu’ils ont fait, ils ont fait un choc… Ça c’est rien, on l’a rachète, mais vous voyez, ça c’est un meuble de rien, et ça, ça venait de mes parents, c’est un meuble de rien. Mais bon, des congélateurs, des choses comme ça, ça n’a pas d’importance, on en rachète. Voyez, là c’était la partie où il y avait tous les outils de mon mari et tout ce qui s’ensuit… voyez, là il y a eu des dégâts…voyez à quelle hauteur ça montait… ça alors, après ce n’est que de la rouille. Voyez, j’avais une table ici en formica, voyez, il n’y a plus que le truc qui passe, alors là il y avait des vêtements et tout, là il y avait la laverie, alors ça n’a pas d’importance… Là les meubles en question, ça c’est fini, c’est pourri, c’est cuit.
EC : Est-ce que vous pourriez préciser quelles ont été les conséquences à terme pour vous ?
AB : Les conséquences à terme… Alors si vous parlez sur le plan de la maison, de la valeur par exemple… On a eu peur au départ, on s’est dit, notre maison, notre habitation c’est fini, elle a perdu de la valeur, parce que c’est quand même le fruit de tout un travail, vous savez moi j’ai pas, j’ai travaillé toute ma vie, je n’ai pas eu des salaires énormes et mon mari non plus, le sacrifice de toute une vie, il y a beaucoup qui en ont parlé de ça d’ailleurs, des personnes du coin. On a pu donner dans une maison. On s’est privé de vacances, on s’est privé d’un tas de choses, on s’est privé de tout pour avoir une maison, donc on a travaillé là dessus et on se voit d’un seul coup, en quelques jours, ça peut complètement diminuer cette valeur. On n’a que ça alors donc, c’est un peu un drame dans ce genre là. Après si on ne veut plus parler de… mais ça n’est pas vrai, parce qu’après ça s’est rétabli ces choses là… Il y a des gens qui regardent à deux fois et diront que c’est inondable, ça perd de la valeur mais vous voyez, il y a eu un petit bled qui a été encore bien plus inondé que nous, ce n’était pas loin, c’est entre Abbeville et Amiens, je ne sais plus… Qui est dans un creux, donc là ils ont été inondé et fortement, les maisons et tout et vous savez les maisons ont été vendu quelques années après, sans perte de valeur alors donc, voyez que c’est pas toujours vrai. Bon, ceci dit après, à quel point de vu ? I y a beaucoup de travail de remise… c’est un travail énorme, il y a beaucoup de travail pour remettre en place, au propre et tout ce qui s’ensuit, c’est un travail énorme, bon, à ce moment là, j’avais dix ans de moins, je pouvais encore le faire, mais là j’ai les épaules en compote, je ne peux plus le faire. Ça abime, ça détruit quand même… Mais pour moi personnellement, qu’est-ce que vous voulez ? La vie continue… Moi je suis très attaché. Y en a qui sont parti, il y a des personnes qui sont parties, ils n’ont plus voulu rester dans ce coin là parce qu’au moindre coup de flotte ils ont des angoisses. Mais moi je ne vous dis pas que je n’en ai pas quand il y a des gros orages. Même maintenant. Parce que lorsqu’il y a des gros orages, j’ai toujours peur que, vous savez, j’ai une servitude moi, c’est-à-dire que l’eau du plus haut, s’écoule dans cette servitude là, qui est masquée, qui est recouverte, elle est tuyautée jusqu’à un certain point et quelques fois, c’est ça qui fait débordé, parce que là-bas, ça dégringole très fort, c’est mal foutu dans ce coin là, et le service… il y a un peu à faire de ce côté-là et moi je reçois ça. Et lorsqu’il y a de gros coups, je descends à la cave et je me dis bon… parce que mon congélateur est toujours sur parpaings. Il y a toujours deux trois truc qui sont restés sur parpaing, donc elles y sont bien, ça ne me gêne pas, moi je monte, je vais à mon congélateur, mon bac et je vais voir parce que je me dis, bon, là tant pis, ça je le laisse, moi je ne peux pas monter ma machine et si j’ai des choses auxquelles je tiens, je les prends et je les mets en hauteur. Je fais ça, je fais le tour. Ça je le fais encore. Maintenant après, le reste, la vie continue, l’herbe pousse, on refait le jardin, on refait les dégâts, on retravaille, la vie reprend le dessus.
EC : On vous avait proposé d’être relogée ?
AB : Ah oui.
EC : On vous a laissé le choix ?
AB : Ah oui, et puis même le maire est venu une fois, il était gentil le maire, il a fait tout le tour et tout ça. Ça, ça nous a touché vous voyez. Après il y a eu les services qui venaient voir si on était bien, quand il y a eu toute cette aide qui venait de toute la France hein, pas avec des légumes… c’est ça qui nous a embêté le plus… pas de légumes… des boites de conserves, des choses comme ça, je les refusais au début parce que je me disais « je n’ai pas besoin de ça moi, j’ai quand même de quoi manger encore. Donnez-le à ceux qui en ont besoin » et puis après, on m’a dit « prenez le, prenez le ! » alors je les ai pris parce que j’ai eu peur, j’ai dit « qu’est-ce que ça veut dire, ça va durer plus longtemps que ça ? » vous voyez, c’est vrai, ça a duré plus longtemps donc après j’ai pris un petit peu ce qu’ils me donnaient mais ils me donnaient pas l’essentiel, ils me donnaient pas des légumes, ils donnaient du pain si on avait besoin, de l’eau… c’est vrai qu’on en a besoin parce qu’on pouvait pas prendre d’eau si tout était coupé… Et qu’est-ce qu’ils nous donnaient encore ? Je sais plus, beaucoup de conserves, des boites de sardines, des choses comme ça, je les ai prises après parce que je me suis dis… Mais moi j’avais la chance d’avoir encore un peu de stock. Vous savez je n’aime pas faire du jour au lendemain, d’abord je n’aime pas faire les courses alors donc, j’ai tenu un moment.
EC : Après 12 ans de recul, quel regard vous portez sur cette catastrophe de 2001 ?
AB : Je n’en sais rien vous dire… Une inquiétude peut-être ? Une inquiétude que ça se renouvelle ? Je n’y crois pas trop, j’espère que ça n’arrivera plus, parce qu’il y a tous ces faits qui nous font aussi… On y croit quand même un petit peu, qu’il y a eu quand même un petit dérapage, qu’il y a eu une ouverture, malencontreuse… On ne sait pas, ce qui a pu se faire… Un afflux d’eau qui ne serait pas arrivé s’il n’y avait pas eu une ouverture quelconque… Enfin, toujours est-il que cette brutalité, cette chose importante, je pense que ça n’arrivera plus. On aura encore des coups de flotte, certainement, on peut s’y attendre, mais je pense, plus léger, alors bon, je le prends avec cette légèreté là. En me disant que de toute façon moi je ne veux pas partir. Mes enfants voudraient que je m’en aille, mais moi je ne veux pas, j’aime pour beaucoup de chose, parce que c’est le fruit de mon travail, celui de mon mari, on s’accroche à tout ça, c’est un bien qui nous a donné beaucoup de privation, beaucoup de travail, on y tient. Alors donc, moi à mon âge, je ne sais pas… Et puis moi maintenant, vous savez, je ne suis pas, je travaillais, je n’avais pas le temps d’aller chez les voisins, les voisines mais cette inondation nous a un peu rapproché parce que on s’occupait des uns, des autres si vous voulez, on regardait si on n’était pas mal logé et tout ce qui s’ensuit. Et après, ça nous a un petit peu fait connaître donc, il y a eu une amitié, moi je ne me vois pas aller dans un bled où je ne connais personne, à mon âge, on ne se refait pas pareillement, c’est des amis les voisins, on s’aime bien, c’est des connaissances, on est bien reçu si on y va et tout alors que c’est fermé pourtant dans notre coin, on dit que c’est fermé mais on est bien vu, moi j’ai un âge où je n’ai plus envie… on verra bien ce que ça deviendra après et puis c’est tout. Moi j’aurai fait mon passage sur la terre et puis voilà. Mais enfin, il est possible aussi que je change d’avis dans un petit moment, parce que j’ai des douleurs, je ne vois plus bien clair, les forces s’en vont, je serai peut-être obligé aussi… Mais malgré tout j’étais des années toute seule, je n’ai pas peur, je n’ai pas peur de la solitude, je n’ai pas peur.
EC : Est-ce que vous pensez que cet événement a changé quelque chose en vous ?
AB : C’est difficile. C’est difficile de vous répondre… Changer… Ça veut dire quoi changer ? C’est un événement dont on se serait bien passé, c’est tout ce que je peux vous dire mais que voulez vous, il est là, on l’affronte, on fait avec… Je peux pas vous dire mieux… Mais qu’il ait changé, bah… il m’a donné un petit peu de mal et il m’a peut-être fait vieillir un peu plus vite mais de toute façon, non j’ai du courage… Je ne voudrai pas que ça arrive à nouveau là… avec les années… je ne voudrai pas que ça se renouvèle si fort… Là si ça renouvelait si fort, là je m’en vais. Et il y a des voisins qui sont partis parce qu’eux ils n’avaient pas connu, ils ne savaient pas, ils avaient acheté un peu plus loin, c’était un docteur, il avait acheté quelques années, très peu de temps avant 2001. Quand il y avait l’inondation, bon, ils habitaient au-dessus, donc si vous voulez, ça n’est rentré, ça n’est pas rentré chez eux même, c’était limite, mais dans le vide sanitaire alors là ça commençait, alors ils avaient des inquiétudes, il commençait à y avoir un peu d’humidité qui montait dans les murs parce que on a beau faire, au début, « oh on va vous faire des planches, des machins, pour empêcher »… Pas la peine, on empêche d’un côté, ça rentre en dessous, l’eau on peut rien faire. Alors, donc, ces personnes qui étaient très heureuses d’être là, parce que c’est agréable par ici, on est tout près de la ville mais on est à la campagne, on est dans le calme, c’est les oiseaux, c’est tout, c’est vrai, c’est agréable, c’est la verdure, c’est tout. Ils s’y plaisaient beaucoup et surtout madame et lorsqu’il a eu ça, il a cherché pour partir. Parce que lorsqu’il pleuvait, alors lui la moindre pluie, il faisait le tour de la maison, il était angoissé donc c’était plus possible. Tandis que moi, voyez, un gros orage oui, mais il peut pleuvoir, moi j’ai une pompe en bas, j’ai même deux pompes, une de chaque côté des fois qu’il y en ait une qui tomberait en panne…
EC : Depuis les inondations ?
AB : Je crois qu’on les avait avant, on en avait qu’une peut-être… SI vous voulez, de temps en temps, ça servait pas mais voyez maintenant, il y a souvent de l’eau, c’est pour ça que je pense que le climat, ça pourrait, je ne sais pas, j’ai l’impression que c’était plus sec il y a 40 ans… Je le crois parce que j’ai eu des moutons, j’ai eu tout ça, vous savez, en faisant le recul, je ne pourrai plus en ce moment avoir de moutons… Bon là c’est l’hiver et la pluie, on a eu partout, même en France, dans d’autres secteurs… On me dit qu’il a fait très mauvais… Mais je trouve que c’est plus mou quand même… Donc mes pompes elles sont là donc quand il pleut, elles fonctionnent, ça me rassure, alors de temps en temps je vais enlever les feuilles mortes c’est tout, mais ça me rassure.
EC : Il arrive parfois qu’une catastrophe crée des bouleversements mais paradoxalement, ces bouleversements peuvent parfois s’avérer positif… Avec le recul qu’est ce qui a changé favorablement pour vous ?
AB : favorablement… Je ne peux pas dire que ce soit favorable… favorablement c’est difficile, à part si vous voulez, ce que je vous disais, qu’on s’est rapproché. Il y a eu… c’est ça c’est plutôt au point de vu connaissances, amitiés et réconforts de ce côté-là de la part des personnes, vraiment tout le monde était touché parce que je connaissais des personnes qui étaient en plein centre-ville, qui venaient me voir, me dire bonjour, m’apporter quelques brassées, quelques morceaux de bûches, de bois et tout ce qui s’ensuit. Elles prenaient les risques parce qu’elles pouvaient se flanquer à l’eau, parce que ce n’est pas facile de marcher sur une barre de bois, en voyant l’eau on est toujours attiré, d’ailleurs il y a des personnes qui se sont cassé la figure dedans, avec leur costume et avec leurs vêtements. Bon… Bref. Alors moi je vous dis, je n’allais pas plus loin, et encore en décrue, qu’au bout de ma barrière, bon bref. Et donc c’est cette solidarité qui a pu s’exprimer autrement positivement que voulez-vous que je vous dise…positivement… on se sent plus fort, si ça arrivait, je pense que je serai plus forte, je n’aurai … plus forte, je l’ai été mais je veux dire, j’aurai moins d’inquiétudes puisque je l’aurai déjà vécu. Donc je saurai qu’il ne faut pas s’inquiéter et qu’il faut attendre que ça passe… Donc ça ne serait plus pareil. Voilà. Mais je ne le souhaite pas.
EC : Le fait de vivre cette inondation, a-t-il changé quelque chose dans votre famille, en négatif ou en positif ?
AB : Alors ma famille, j’ai un fils seulement, donc… et deux petits enfants… Donc les petits enfants, eux sont restés les mêmes. Maintenant du côté de mon fils, lui, il trouve que je devrais, pas parce que c’est humide… il trouve qu’il faudrait avoir un climat un petit peu meilleur si vous voulez. Donc même pour moi qui suis pleine de douleur, que pour ma santé, je devrais songer à quitter les lieux et à m’orienter vers des climats un petit peu plus tempéré peut-être, dirons-nous… Et moi je suis accrochée… pour l’instant je ne suis pas mûre. Mais vous voyez, lui n’a pas envie de rester. Là ils sont en… pour l’instant, en pause chez moi, ils réfléchissent à ce qu’ils vont faire. Ils avaient une maison dans le secteur, ils l’ont vendu et ils sont en attente… Alors soit qu’ils restent un peu plus longtemps chez moi, moi ça me gêne pas, ni l’un, ni l’autre. Je suis contente qu’ils soient là mais s’ils s’en vont pour leur bien et puis c’est normal, je ne trouverai pas ça drôle. Je serai bien des deux côtés. Mais bien sûr c’est grand, alors il faudra bien sûr que je pense certainement m’orienter autrement. Mais dans l’immédiat, je suis encore accroc à ma maison. Alors pour eux, vous voyez, non, non ils me laissent libre de mon choix mais ça ne serait pas le leur. De rester sur place.
EC : Tout à l’heure, vous parlez justement du fait que cette inondation avait peut-être renforcé des liens avec votre voisinage, par rapport justement à votre famille, est-ce que vous trouvez que ça a eu le même effet ?
AB : Avec ma famille ? Ah bah, ma famille, oui, bien sûr qu’ils ont été là, mais non, le reste maintenant, vous savez, si vous voulez dans l’immédiat bien sûr, on se, comment dirais-je, on voit bien la personne qui a plus de besoins, bien sûr que leur affection et leur amitié sont venus plus à moi mais tout ça après ça fait comme le reste, chacun a ses besoins, ses tracas, après ça reste, ça s’oublie ça. Ça reste bon, ça n’est pas ce que je veux dire mais non… après, au bout de plus de 10 ans, il faut savoir tourner la page.
EC : Est-ce que le fait de vivre cette inondation vous a appris quelque chose ?
AA : Je peux pas vous dire…Qu’est-ce que ça pourrait m’apprendre ? Pour l’avenir, si ça se renouvelait. En fait, je suis resté assez statique dans ce truc là parce que si vous voulez, ce n’est pas moi qui pouvais gérer ce truc là, c’est la nature, la nature est plus forte. Je l’ai subi, plus que gérer en fait. Donc, je l’ai quand même bien, comment dirais-je… Je trouve que je me suis maintenue quand même en condition correcte malgré cette chape qui me tombait dessus, seule, bien sûr avec ma famille mais ma famille est un peu dispersée.
EC : Au moment des inondations, vous viviez seule, et après c’était toujours le cas ?
AB : Voilà, oui, j’ai continué. Il n’y a que là, au bout de 10 ans.
EC : Avant 2001, vous n’aviez jamais vraiment été inondé ?
AB : Non, on a eu que des coups de flottes. Dans la rue par exemple, vous avez tellement… un orage très subit, très violent, comme nous sommes en contrebas avec cette pente très abrupte… il n’y avait pas de bâtiment dans le temps, toutes ces maisons… tout ça vient se décharger chez nous, dans le creux du bout de la rue là… Il y a un espèce de creux où là c’est pas bien fait, ils viennent d’ailleurs souvent y cafouiller, je ne sais pas ce qui se passe là-dedans… Alors là c’est submerger vite fait. Alors, donc, ça vient chez moi, ça vient dans le dévidoir, comment ils appellent ça, l’avaloir, et si c’est normal, ça s’absorbe bien, ça s’écoule mais si c’est au-delà de quelque chose de normal, si c’est violent, ben ça rentre, j’ai un coup dans le sous-sol. Mes deux pompes donnent bien dans ces cas-là mais quelques fois elles sont submergées. On frotte et puis c’est mais ce n’est pas fréquent ça.
EC : Une dernière question concernant les inondations : quelles raisons vous ont amené à vous investir dans l’association AVIA (Association des Victimes des Associations d’Abbeville)?
AB : Ah, bah l’inondation. Ecoutez, c’est tout à fait par hasard. Vous savez, au départ, il y a eu une personne qui a été inondé, qui n’y est plus, avant le président actuel (Mr O.), qui était responsable, qui a construit l’association. Lui sa maison elle était submergée, bon bref. Parce que lui c’était de plein pied et puis il y avait peut-être un défaut, j’en sais rien. Lui il était noyé, tout a été foutu. Et lui au départ, comme il y a eu ces histoires, vous savez, « on nous a inondé, tagada-tsoin-tsoin » donc il a ameuté un peu la population et on avait rendez-vous sur la place de la gare parce que la gare vous savez que ça a été inondé aussi. Après la flotte. Et il a mis en route une association pour se défendre parce qu’il ne savait pas comment on allait être indemnisé, ceci-cela, enfin bref. Et puis alors, nous on a été l’écouter, forcément et c’est comme ça que s’est mis en route l’association et lui est resté quelques temps mais, je ne sais pas, ça n’a pas bien fonctionné et après c’est le Mr O. qui a pris le… Parce qu’il est très bien, vous savez, qu’est-ce qu’il nous a défendu. Lui, il faisait bien son truc aussi mais ça ne suivait pas, pour parler, pour ceci, pour cela, mais pour écrire, Mr O. pardon, il va loin Mr O., il s’occupe d’un tas de choses, parce qu’il est président de ceci, de cela, l’AMEVA, vous connaissez tout ça peut-être, alors donc il est très recherché aussi. Bon. Et c’est pour ça que j’ai suivi ? alors à partir du moment où on met le nez là-dedans, on va suivre ça pour savoir ce qu’il faut faire, pour les conseils et tout et c’est comme ça que je suis rentré dans l’AVIA. Mais je suis rien moi dans l’AVIA, je suis adhérente et puis, en même temps ils m’ont mis une petite responsabilité mais vous savez c’est eux qui me la mettent mais c’est lui qui fait le travail, moi vous savez, je prends les adhésions de mon quartier, c’est tout ce que je fais. Et puis enfin quand il y a un petit coup de main à donner, je le donne mais je veux dire, je n’ai pas beaucoup de mémoire, je ne peux pas tenir un rôle…Voilà et bien sûr ils m’ont aidé moi pour faire les démarches après. Il y a un responsable de l’AVIA qui m’a beaucoup aidé et ça m’a fait du bien parce que si je ne l’avais pas bien géré, bien placé, comme il me l’a fait, feuille par feuille avec tous les détails qu’il fallait donner et tout ce qui s’ensuit et les factures à demander, tout ça, j’aurais peut-être pas été indemnisé comme je l’ai été. Je l’ai quand même été, alors donc, ils m’ont beaucoup aidé, alors je leur dois bien de me cramponner encore un peu à eux parce que je voudrai bien que des jeunes me prennent la place mais il n’y a personne. Les gens ne veulent pas donner leur temps. Et vous voyez, il y a eu une réunion d’une autre association dont je suis un peu dedans aussi car c’est mon quartier de St Gilles, on a fait l’Assemblée Générale, il y a deux jours, il faut pleurer pour avoir les personnes le soir à six heures pour qu’ils viennent à l’assemblée générale. C’est quand même malheureux parce qu’ils touchent, ils ont des colis, un tas de choses, l’Amicale leur donne un tas de… leur fait plaisir, à une centaine de personnes âgées. Et ben, pour en avoir 20 ou 25 à l’assemblée générale, c’est tout un tatouin, c’est quand même malheureux, c’est ingrats ça.
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