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inondés Somme
en rapport à
Inondations (Picardie, Haute-Normandie)
EC : Pouvez vous expliquer les étapes de l’inondation telles que vous vous les avez vécu ?
AA : Je suis rentré ici et à 3h du matin il y avait de la flotte dans le maison. Je suis rentré à midi, dans la journée j’ai vidé la maison et à trois heures du matin je dormais là (montrant le seuil de la porte) et la flotte est rentrée. Et tout ce qu’on vous a balancé à la radio… croyez ce que vous voulez, après les gens ils…ils croivent ce qu’ils veulent… Après… Je vais pas vous parler d’indemnisation ou quoi que ce soit parce que… ça a été très rapide.
EC : C’est à dire ?
AA : Quand c’est l’État qui indemnise, les compagnies d’assurance, ça va très vite.
EC : C’est à dire ?
AA : J’ai été indemnisé une semaine après. Enfin, on nous a donné une certaine somme. Je ne vais pas vous dire quelle somme. Après, point de vu l’habitat en lui même, ben y a un expert qui est passé et puis ça a été pris en charge, ça a été très vite. Ah nan, très très vite. J’ai été relogé 14 mois. Mais tout a été pris en charge. Ce serait un dégât des eaux autre que ça, il y aurait eu beaucoup plus de soucis.
EC : C’est à dire ?
AA : Ben autre qu’une catastrophe naturelle. Enfin, catastrophe naturelle si on veut… C’est ce que je vous ai expliqué, on va pas revenir là dessus, ça sert à rien…
EC : Comment vous, vous l’avez vécu personnellement cette inondation ?
AA : Mal, très mal. Surtout prendre les gens pour des cons.
EC : Vous pouvez m’expliquer ?
AA : Ben c’est perdre,hein… hmm… mais on arrive toujours parce qu’on veut garder ce qu’on a et puis c’est tout.
EC : Vous arriviez à vous dire cela à l’époque ?
AA : Ouais…
EC : Quels sentiments vous aviez ?
AA : De la flotte pendant 6 semaines ! J’avais pas de sentiments, on essaie de sauver ce qu’on a et puis voilà… Mais de la rancœur surtout et ça restera.
EC : Est-ce que ça vous est arrivé de ressentir de la tristesse, de la peur, de la colère… ?
AA : De la colère ! Pas de la peur.
EC : Contre quelqu’un en particulier ?
AA : Bah non puisqu’on sait pas.
EC : C’est difficile de ne pas savoir ?
AA : Non personnellement non, c’est pas difficile mais bon… C’est… Comme je vous l’avais dit, c’est prendre les gens pour des cons et puis voilà.
EC : Vous m’avez déjà décrit cela un petit peu mais est ce que vous pourriez détailler un peu la manière dont s’est passé le début de l’inondation ?
AA : Ben on est partis. Enfin ma femme elle est partie chez ma mère et moi je suis resté là pendant 15 jours. Je dormais là haut. Et… Il y a tellement de choses. Après il y a la sécurité civile et tout qui est venu là… On aurait dit que c’était prémédité non ?
EC : Prémédité ?
AA : Bah il y avait que de la flotte ! Tout est arrivé d’un seul coup, du jour au lendemain il y avait… Ouais…
EC : Et pourquoi êtes vous resté 15 jours ? On vous avait demandé d’évacuer ?
AA : Ah, non pas du tout. J’avais toujours l’électricité. Une des seules habitations dans le quartier parce que j’ai le compteur qui est assez élevé. Bon bien sûr ici non mais là haut oui. Et puis je voulais pas laissé la maison. Je voulais rester là. J’ai été en arrêt maladie pendant 2 mois et demi. Il était moins une que je pète un câble.
EC : C’est à dire ? Comment étiez-vous à l’époque ?
AA : Ben, stressé…
EC : Vous étiez extrêmement stressé à l’époque au point que vous aviez l’impression que vous alliez exploser alors ?
AA : Plus ou moins oui…Vis à vis de tout le monde hein ! Ah il fallait pas venir traîner là ! Je laissais la voiture là bas, je venais ici, je tombais là le soir.
EC : Et à un moment donné, vous avez été relogé ?
AA : Oui, lorsqu’ils ont fait les travaux, pendant 14 mois !
EC : Et alors, comment ça s’est passé ça pour vous ? De devoir être obligé de le quitter ?
AA : Ben c’était dans l’obligation quoi, suite aux travaux. Après…pas évident. La maison c’est la maison… Après…
EC : Que voulez-vous dire par « pas évident » ?
AA : De vivre ailleurs…
EC : C’était comment ?
AA : On était dans la ville d’à côté, dans un appartement, après on cherche à voir avec les assurances, mais… on vivait à trois dans une chambre pendant 14 mois… on a vécu à trois dans la même chambre et puis… Non, je peux pas vivre ailleurs… Après chacun voit… Ne me dîtes pas d’aller vivre à Paris demain, j’irai pas…
EC : Et comment s’est terminée l’inondation pour vous ?
AA : Ca a duré 6 semaines et il y a eux les travaux 14 mois. C’est arrivé en avril et on a reprit la maison au moins de mai l’année d’après.
EC : Est ce que vous saviez que votre maison était vulnérable aux inondations ?
AA : On n’est pas vulnérables aux inondations !
EC : Vous ne pensiez pas que vous pouviez être inondé ?
AA : Non
EC : Pourquoi dites-vous que votre maison n’était pas vulnérable aux inondations ?
AA : Parce qu’on n’a pas lieu d’être inondé ici ! On l’a bien voulu ! Et le monsieur qui habite en face, qui a 90 ans, il n’a jamais vu ça… Après, on peut dire ce qu’on veut.
EC : Quels types de dommages matériels (pièces, meubles, objets), vous avez subi ici ?
AA : Bah, plus ou moins l’immobilier… et puis y a ce que j’ai pu sauver avant quoi. Autrement… Surtout la maison par elle-même. Ils ont rasé tout.
EC : Vous dîtes rasé tout, ça signifie quoi ?
AA : Ben tout, il n’y avait plus rien, vous avez vu les photos ?
EC : Oui j’ai regardé.
AA : Il restait, comment dirai-je… ben les murs et puis voilà… Tout ce qui est cloison etc, ils ont démonté tout et puis voilà.
EC : Est-ce que vous avez participé aux travaux de la maison après ?
AA : Ah, plus ou moins, mais c’était fait par une entreprise
EC : Vous avez perdu des meubles ?
AA : Quelques-uns oui, mais ça va, j’ai pu sortir tout.
EC : Vous les avez monté à l’étage ?
AA : On a emmené… Vous voyez le meuble qui est là (buffet en bois apparemment de grande valeur).
EC : Vous avez eu le temps de le sur-élever.
AA : Oui
EC : Vous n’avez pas eu de pertes d’objets de valeur, d’objets qui étaient sentimentalement importants pour vous ?
AA : Non.
EC : Avec le recul, quelles ont été les conséquences à terme pour vous ?
AA : Bah c’est point de vue moral surtout, c’est psychologique… c’est… ça bousille un bonhomme… enfin pas qu’un bonhomme, une famille… Après… Après on se bat. C’est tout.
EC : Vous avez eu l’impression psychologiquement d’être passé par plusieurs étapes ? Vous disiez tout à l’heure que vous aviez de la rancœur, de la colère, du stress, est-ce qu’il y a eu des moments d’abattement, est-ce que vous vous êtes dit à un moment « on ne pourra jamais s’en sortir » ?
AA : Non
EC : Ca fait 12 maintenant, avec le recul, quel regard vous portez sur cette inondation ?
AA : Y a pas de regard. Je veux dire par là que…pfff… on nous a pris pour des cons, voilà c’est tout. C’est tout je vais pas plus loin.
EC : Il arrive qu’une catastrophe crée des bouleversements dans la vie et paradoxalement, ces bouleversements peuvent s’avérer parfois positifs. Est-ce que, avec le recul, quelque chose aurait changé favorablement pour vous ?
AA : Non…
EC : Est-ce que quelque part il y a eu des choses positives suite à ces inondations ?
AA : Ben, il y a eu la solidarité des gens et puis comme je vous dis, le fait de connaître les voisins…
EC : Ca a créé des liens avec votre environnement proche ? Ca vous a permis de faire des rencontres, des amis ?
AA : Oui… mais bon…
EC : Ce sont des personnes sur qui vous avez pu compter et qui ont pu compter sur vous ?
AA : Oui, voilà. Bah ici c’est beaucoup de personnes âgés, moi je me suis occupé du voisin d’en face… Après…
EC : Et dans votre famille, est-ce qu’il y a eu des changements, des conséquences positives ou négatives ?
AA : non aucun changement
EC : Vous me disiez « ça bousille une famille »…
AA : La mienne.
EC : Dans quelle mesure ça a bousillé votre famille ?
AA : Ben ne plus avoir ses murs, ne plus être ici, voilà. Après… Mais non, la famille proche, non.
EC : Est-ce que le fait d’avoir vécu cette inondation ça vous a appris quelque chose ?
AA : Ca dépend sur quoi…
EC : Ce que vous voulez.
AA : Oui, la solidarité, avec les voisins, et beaucoup de monde quoi. Ensuite…ouais… les collègues de travail, tout ça…
EC : C’est-à-dire ?
AA : C’est-à-dire, point de vu financier…
EC : Vous avez eu des aides financières de la part de vos collègues ?
AA : Bah oui, c’est normal, on est cheminot…
EC : C’est assez exceptionnel, vous ne trouvez pas ?
AA : Non, pour moi ce n’est pas exceptionnel.
EC : Vous pensez que dans d’autres branches professionnelles, ça arrive ?
AA : Je ne sais pas comment ça se passe mais chez nous…
EC : Est-ce qu’il y a d’autres choses que vous avez apprises suite à ces inondations ?
AA : Non, rien de particulier…
EC : Au moment des inondations, vous viviez à trois ici ?
AA : Oui
EC : Aviez-vous déjà été inondé dans votre vie ?
AA : Non, c’était la première fois.
EC : Depuis avez-vous vous déjà été inondé ?
AA : Non
EC : Pour quelles raisons, vous vous êtes investi dans l’association d’Aides aux victimes des Inondations d’Abbeville ?
AA : Pour défendre non seulement nos droits et pour défendre… essayer de respecter, comment dirais-je, tout ce qui est autour de nous… Et se battre pour avoir quelque chose… Je vais pas revenir là dessus. Nous prendre pour des cons… Après bon…
EC : Est-ce que vous voyez des choses à ajouter sur cet événement ?
AA : Non, rien de particulier…
EC : Vous avez l’impression qu’on a fait le tour ?
AA : On n’a pas fini
EC : Est-ce qu’il y a des choses que vous aimeriez rajouter à ce propos ?
AA : Non…
AA : Vous voulez voir une vidéo sur les inondations ?
EC : Ce sont des vidéos que vous avez faîtes ?
AA : Oui
EC : Si vous voulez oui.
AA : C’est des pièces de musée ça, c’est comme ça, c’est une pièce de musée (montre un vieux meuble faisant office de secrétaire).
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