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Par
S - Anonyme
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Covid-19 – Coronavirus

Il est 7h, je descends comme chaque matin prendre mon café dans l’espace cuisine, salon, salle à manger, devenue depuis peu, bureau. Mes sabots claquent, comme chaque matin, et nous nous retrouvons d’abord à deux, très vite rejoints par la plus jeune, pour commencer cette journée de confinement. Mettre un rythme : promener le chien, faire la classe le matin, préparer les menus à l’avance pour éviter les sorties, activités ludiques l’après-midi, lecture, puis un peu d’écran pour attendre tranquillement la soirée où la famille se retrouve devant les informations du soir ou un film. Finalement, c’est simple, suffisamment rempli pour ne pas tourner en rond, bien organisé, même pas mal.

Depuis hier, chacun propose une  idée, une règle, une attention, bref, nous réinventons notre espace collectif, tels des astronautes dans une navette spatiale. Qui fera la cuisine ? Qui fera le ménage ? Qui utilisera Netflix ? S’il est un sujet qui ne trouve pas de compromis, c’est le programme TV. De Top Chef à burger Quizz, en passant par Canal+ en clair, les discussions vont bon train pour déterminer l’ambiance de la soirée autour de notre seul poste de Télévision. La règle des parents qui décident si les enfants ne sont pas d’accord ne fonctionne plus avec des jeunes majeurs. La dernière, seule à ne pas avoir atteint le pouvoir suprême de voter aux municipales, a de la voix à la maison.  Pas de téléphone, pas d’ordinateur, si en plus je n’ai pas le choix des programmes, c’est vraiment pas juste.

Un peu plus tard, « les grands » émergent. Encore maquillée de sa soirée de la veille et engourdie par des heures de sommeil profond, ma fille dit que c’était la dernière, dernière soirée. De toute façon ça n’est plus possible. Parfait donc, le message est enfin passé chez ces jeunes adultes aux allures d’immortels. L’idée émerge dans ma tête que le jogging va devenir la tenue de rigueur à toute heure du jour et de la nuit donc. « Nous on va fait un apéro bière Skype avec des potes» enchérit mon fils qui transforme l’essai en point gagnant. Chacun dans sa chambre avec bières et chips. Finalement pourquoi pas…

Retour à la classe. J’avais oublié cette posture pédagogique qui nécessite un grand sens de l’observation et tant de patience. Ne pas brusquer, laisser le temps, s’appuyer sur l’erreur pour en sortir, féliciter. Tant de qualités expérimentées au début de ma carrière si difficiles à conjuguer dans une classe. Chacun se sent en empathie avec les soignants, sans doute bientôt aussi avec les enseignants. Car on ne s’improvise pas enseignant, on l’apprend. Seulement voilà, à 10 ans, la maitresse est encore celle qui sait et comment on fait. « C’est pas comme ça qu’on fait d’habitude ». Les maths c’est sur l’ardoise, la correction de la dictée c’est au tableau, les opérations, on les pose comme ça. Inutile de négocier, mieux vaut passer un bon moment, du moins au début. Tenir sur la durée… Je sors la tablette, ouvre le CNED et propose des exercices interactifs. C’est gagné.

Pause déjeuner, tout le monde sort la tête de ses écrans. Les discussions vont bon train sur ce qu’on peut faire et ne pas faire ou peut-être faire quand même pour certains. On vit quand même une drôle de période. Tout ce qui se passe est très spécial et nos relations risquent de l’être aussi. Entre rigolades et engueulades, nous décidons dans un pacte familial de ne pas garder de rancœur les uns vis à vis des autres en cas de débordements, forts probables. Tout le monde est d’accord. On oubliera, on effacera tout. Ou alors, propose ma fille ainée, on peut faire un journal. A tour de rôle, nous allons nous filmer et raconter chaque jour à la caméra, ce qui se passe au sein du loft. Récits, joies, colères, coups de gueule, tout est permis devant l’iPhone qui servira pour le moment de confessionnal. On n’oubliera pas donc, on consignera. Idée géniale, acceptée.

Le Quiet time naturel en temps de vacances est de retour à la maison. Chacun trouve  à se reposer,  à se ressourcer. Subtilement, elle va s’allonger dans son lit cachant discrètement mon téléphone portable. Je découvre une demi-heure plus tard les dizaines de smileys échangés sur WhatsApp avec sa copine qui pique aussi le téléphone de sa mère. Bon.  Pas de téléphone avant 12 ans, pas de réseaux sociaux avant 13. A circonstances exceptionnelles, adaptations exceptionnelles qui risquent un point de non-retour en temps de paix. Petit discours sur ce qui relève du privé et du commun, on ne partage pas tout malgré les apparences. Les whatsapp vont bon train d’ailleurs. Les bonnes blagues circulent sur les dizaines de groupes. On se les passe, on rigole, jaune parfois, peut-être que dans quelques temps, on ne rigolera plus du tout. Mon préféré est celui de la patronne  qui appelle sa femme de ménage pour lui demander si elle accepte de télétravailler pour l’aider à faire le ménage chez elle…

Les chambres sont réquisitionnées en bureau pour les travailleurs de l’après-midi. L’occasion d’un peu de rangement pour éviter de donner à voir son intimité à la fac ou aux collègues de l’entreprise. J’en profite pour me mettre à jour dans mes mails, mes documents professionnels. La joie d’avoir du temps pour faire tout ce qu’on n’a jamais le temps de faire laisse la place au questionnement : comment s’organiser ? Se rendre psychiquement disponible ? Tirer parti de ce  temps si spécial ? Entre le désir et la réalité il va là aussi falloir s’adapter. Je finis par opter pour le faire. C’est plus simple. Il faut dire qu’il y a de quoi : ranger, briquer, laver, ça occupe les mains et l’esprit. J’entends les voisins qui grattent, balaient, aspirent. Un ménage intérieur, peut-être nécessaire avant de faire définitivement son nid ?

Le soir tombe. L’ambiance n’est plus si légère. Le temps n’est plus le même et la journée semble avoir 24h à elle seule. On se dit entre voisins qu’on se retrouvera samedi soir pour mettre de la musique et faire la fête chacun de son balcon. C’est drôle, on n’a jamais fait la fête avec ces voisins-là. Je prends des nouvelles des uns et des autres, tout le monde va bien, il y a bien tante Simone qui est seule, mais dit-elle, ça ne change pas de d’habitude, c’est juste qu’on y pense plus.

Ce soir c’est Top chef pour la plus petite. Mais bon, finalement, la grande ira faire une Netflix party dans sa chambre. Nouveau système de partage, elles sont plusieurs à regarder une série en même temps et peuvent faire des commentaires visibles par toutes. Original.  La fatigue nous gagne, sauf le grand qui reste faire son apéro copains Skype dans le salon. On entend des rires et des voix, le salon semble plein de jeunes, comme d’habitude finalement. Sauf que là, je n’ose même pas leur dire de baisser le son, c’est tellement bon de se retrouver.

Il est 7h, je descends prendre mon café, mes sabots claquent. Le regard des occupants de la maison sur ce bruit habituel n’est plus le même. Mes sabots feraient-ils trop de bruit ? Il y a des choses comme ça, qui ne sont jamais dites et qui semblent une évidence. Pourtant, en ce temps de confinement, chacune d’entre elle est questionnée et repensée dans un cadre de vie commune. Repenser chaque règle, chaque habitude, chaque façon de faire, une souplesse  et un grand ménage qui va chercher en chacun d’entre nous des ressources à redécouvrir.

 

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Commune

Paris, France

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