Par
inondés Somme
en rapport à
Inondations (Picardie, Haute-Normandie)
EC : Est-ce-que vous pourriez décrire les étapes de l’inondation telles que vous les avez vécues ?
AK : Alors moi ça a été un petit peu compliqué parce que j’étais la directrice de l’école, je suis en retraite depuis, donc nous avons été dans le quartier les premiers inondés. L’école se situant à l’arrière du quartier et en fait nous avons été inondés non pas par la Somme en direct mais par les marais. Donc la plus proche, la première quand on considère les marais de Fontaine, Epagne, Epagnette, Mareuil et après forcément St-Gilles, Rouvroy.
Dans le quartier de Rouvroy, nous avons été les premiers inondés. Alors, il y avait une petite semaine, 4-5 jours que nous constations la montée des eaux mais jamais un instant on a pu imaginer qu’on serait réellement inondés parce que c’était déjà arrivé maintes fois. A l’arrière, c’est marécageux. Quelques fois en plaisantant avec les collègues, nous disions que nous avions notre piscine, on n’avait pas besoin d’aller à la piscine… Un peu froide certes, donc vous voyez, on avait l’habitude d’avoir de l’eau derrière l’école, dans le terrain vague derrière l’école. On a vu l’eau monter.
C’est vrai qu’en fait le … Quand nous sommes… A l’époque, comme maintenant, il n’y avait pas d’école le mercredi. Quand nous sommes arrivés le jeudi, j’ai quand même dû téléphoner à la ville pour qu’ils viennent nous mettre des planches parce qu’en fait entre la chaussée principale et l’école, il y avait une impasse assez longue, entre 200 et 300 mètres. Donc nous avons demandé… Oh, j’exagère peut-être, je ne me rends pas bien compte… Nous avons demandé à la ville de nous mettre un passage de planche légèrement surélevé. Mais même encore, pas un instant on a pensé avoir de l’eau à l’intérieur, dans les maisons. Et d’ailleurs, l’anecdote que je raconte, parce que c’est tellement risible… Quand nous sommes arrivés le vendredi matin, les collègues et moi nous avions l’habitude d’arriver tôt pour boire un café ensemble, préparer les derniers préparatifs, les tableaux etc. Et puis être opérationnel à 8h45. Donc nous arrivons à 7h30 et puis on s’aperçoit que là l’eau est arrivée à la porte… Vraiment à la porte de l’école. Et donc là on craint quand même qu’elle continue à monter et vous savez ce qu’on fait ? On bouche les bouches d’aération avec du scotch pour empêcher d’entrer… C’est d’un risible inimaginable. Et puis malgré tout, pas encore affolé, toujours pas affolé et nous allons boire notre café. Mais là au retour dans nos classes respectives un collègue vient me dire « il y a de l’eau dans ma classe ». « Ah oui »… Bon, donc en effet là l’eau était rentrée. Non pas par les bouches d’aération, non pas par la porte, mais par, en fait, l’eau entre essentiellement par la jonction entre les murs et les sols, aux joints du mur et du sol. Alors là je dis « bon, écoute, on va aviser pour les enfants, les enfants ne peuvent pas entrer dans cette classe, tu vas aller dans la salle polyvalente ».
Et moi je téléphone, je préviens la Mairie, en premier lieu la Mairie, puis ma hiérarchie, l’Education Nationale, l’inspecteur, l’IDEN à l’époque… Et donc la Mairie n’est pas plus que ça étonnée, pareil ne s’affole pas et nous envoie les pompiers qui ont fait… c’est aussi risible que ce que nous avions fait… Les pompiers arrivent avec force, camion, voiture, etc. Et toute… Enfin, une grande partie de la matinée, ont essayé de pomper. Alors imaginez la scène, c’est d’un ridicule après, quand on sait… Ils pompaient dans l’école, pour rejeter dans le marais donc forcément ça faisait un beau cercle parce que forcément l’eau rentrait dans l’école aussi vite. Et puis donc, bon, comment dire, on a toute la journée… On a gardé les enfants néanmoins… En fait une partie… Parce que l’école était quand même légèrement en pente et donc finalement dans un premier temps, dans la journée, c’est la moitié… Une moitié en fait qui a été inondée. Nous avons gardé les enfants. Moi je me suis essentiellement occupé de ce qui était à visée administrative, etc. Et puis, en même temps, parce que là on a commencé à se dire « Oh la, ça ne va peut-être pas s’arrêter là », donc en même temps, on commençait à enlever tout ce qui était sur des étagères au ras du sol, mettre dans des cartons, dans un premier temps surélevé sur des étagères supérieures et puis préparer quand même au long de la journée, préparer quand même des cartons en vue d’évacuer parce que quand même le Maire comme l’IDEN au fur et à mesure commençaient à penser que de toute façon, ça n’allait pas s’arrêter là. Et à 16h environ avant, que les enfants partent, est tombé l’arrêté de fermeture de l’école. Donc là, le samedi matin, on était le vendredi, je ne sais pas si je vous l’ai dit… C’était le vendredi matin.
Le samedi normalement nous avions école le samedi matin. Fermeture de l’école donc pas d’école le samedi matin. Nous, les instit’, nous y sommes allés pour préparer la semaine suivante parce qu’en fait l’école où nous étions là-bas, a été construite en 1978 mais dans le quartier presque en face d’ici, dans le quartier en face, il y avait l’ancienne école qui avait été, pas abandonnée mais qui servait à d’autres choses… Salles de réunions entre autres, etc. Donc nous avions quand même des locaux de repli. Dans un premier temps nous nous installons dans l’ancienne école, plutôt bien d’ailleurs et puis nous pensions « pas de souci, on est là le temps de l’inondation et puis on repart quoi ». Alors là nous étions quand même… Alors ça c’est important, nous étions 15 jours avant les vacances de pâques et donc le lundi, pas de problème, nous reprenons la classe, lundi, mardi, tranquille.
Ca a continué à monter… Alors moi ici c’est pareil, je voyais monter aussi. Pour l’instant c’était loin… Je vous ferai voir tout à l’heure, il y a une véranda, une pelouse et un jardin ensuite. Pour l’instant c’était dans le jardin. Bon… Quelque part on ne s’est jamais réellement affolé. Malgré tout ça a continué en fait à monter dans les maisons bien sûr, qui étaient après, par rapport à la pente en fait… Et le mercredi ou jeudi… Non… Plutôt le mardi je pense, on s’est aperçu que ça continuait à monter et qu’en fait ça approchait quand même de l’école où nous étions.
Alors entre temps, à proximité de l’école, nous avions la cantine. Donc… on a émigré dans l’ancienne école, la ville avait installé… organisé un service de bus pour que nous allions manger dans une autre cantine…Je vous dis, je ne savais plus bien si c’était le mardi ou le mercredi mais on commençait à s’apercevoir que ça continuait à monter. Mais pour vous dire une chose assez rigolote… Je connaissais bien les gens du quartier et une personne me dit « oh non, non, pour votre maison, il n’y a pas de danger… de toute façon, si vous en avez dans votre maison, alors nous on va en avoir jusque… vraiment une très grande épaisseur ». Bon… toujours… partant un peu là dessus… C’est marrant on a toujours été finalement assez serein. Bon, il faut dire aussi que ça a été toujours en douceur. Il n’y a pas eu un gros afflux d’eau, pas eu de catastrophe, pas eu de… Bon… Donc, on gérait au fur et à mesure.
Et puis le jeudi, on s’est aperçu que la maison juste en face de l’école où nous nous trouvions avait de l’eau et bien. Une bonne épaisseur. Et puis, par l’arrière de l’école, en face, on s’est aperçu que l’eau rapprochait aussi dangereusement. Bon moi je téléphonais régulièrement à mes supérieurs parce que c’était normal. Et puis donc le jeudi, on s’est dit « on est mal, ça ne va pas durer très longtemps ».
Et en effet, le vendredi matin… C’était le vendredi qui nous était fatidique… Le vendredi matin, le même collègue… il avait la poisse lui, le même collègue vient me dire « j’ai de l’eau dans l’école, j’ai de l’eau dans ma classe ». Donc, dans un premier temps pas beaucoup, donc là serpillière, seau, on a pu évacuer le petit peu d’eau qu’il y avait. Le vendredi nous sommes allés à la cantine comme d’habitude mais au retour il était clair que ça n’allait pas encore s’arrêter là, et qu’il fallait envisager une autre solution à nouveau. Donc à nouveau, on a remis notre matériel dans les cartons, etc.
Et… La Marie… Parce que curieusement, ce n’est pas les supérieurs de l’Education Nationale qui peuvent donner un arrêté de fermeture d’école. C’est la Mairie, c’est le Maire, ça appartient au Maire. Donc le Maire a ordonné un arrêté de fermeture de l’école et donc le samedi matin… mais disant « bah tant pis, les enfants auront de la chance, ils seront en vacances 8 jours avant les autres, on ferme l’école jusqu’à la fin des vacances de Pâques et normalement dans trois semaines on devrait pouvoir réintégrer normalement ».
Et donc, en parallèle moi j’avais ma maison mais bon, évidemment je mettais la priorité à l’école et heureusement j’avais des enfants adultes qui géraient la maison et en passant une petite anecdote puisque ça concerne l’habitat : le jeudi midi je me suis aperçu que même la maison serait inondé parce que je reviens entre deux, en courant parce qu’en fait ça fait pas loin, et je trouve ma porte de cave… c’est une double porte… grande ouverte et plus rien dans ma cave. Je dis « de deux choses l’une : ou quelqu’un s’est amusé et s’est servi dans ma cave ou mon beau fils a eu peur et… » Et en effet c’était mon beau-fils, qui le jeudi matin s’est dit « oh la la, ça va pas aller » et il était venu vider la cave complètement. Et puis le vendredi, pendant que nous refaisions nos cartons à l’école mes deux filles et mes deux beau-fils étaient venus à la maison pour surélever tous les meubles qui étaient là. Je sais pas, retournez-vous, regardez le buffet… Heureusement, il y avait encore de la place pour mettre deux parpaings en dessous mais c’est du chêne massif, il est lourd. Alors quand je suis rentré le vendredi soir, tout était sur deux parpaings.
Ca fait un peu drôle, donc on ferme l’école pour une semaine. Mes collègues reçoivent l’ordre de quand même se réunir et éventuellement aider d’autres collègues dans une autre école de la ville. Mais moi, pour moi, l’inspecteur département il me dit « écoutez, vous venez de passer une semaine pas facile, vous avez votre maison qui est en passe d’être inondée »… Je n’avais pas encore d’eau dans la maison… « votre maison va être inondée incessamment sous peu, donc restez chez vous, je vous accorde les 8 jours, restez chez vous, ça ne va pas être facile à vivre ». Donc je suis resté là… Bon, les petits côtés positifs c’est que presque tous les midis mes collègues venaient me voir, on se prenait un petit apéro sur la fenêtre. En plus c’était fin mars, début avril. Et d’ailleurs ce samedi là, j’avais invité les amis et l’eau était arrivée… Alors vous verrez tout à l’heure… Au ras de la pelouse. Le jardin complètement inondé, elle était arrivé au ras de la pelouse. Bon… On espérait toujours quand même et puis on se disait, essentiellement, on se dit « ça ne va pas continuer à monter, ça va bien s’arrêter ». D’autant que comme on était fin mars, début avril, il y avait les marées d’équinoxe, et je me souviens très bien à trois heures du matin avoir rencontré le Maire, avoir discuté avec le Maire, là en pleine rue et avoir dit avec le Maire « mercredi ou jeudi, ce sont les marées d’équinoxe, normalement ça devrait s’arrêter là et ça devrait baisser ensuite ». Mais non, ça n’a pas baissé ensuite, ça a continué.
En fait, à partir de là, ça a stagné. Ca ne montait plus mais ça ne baissait pas. Donc, bon, pendant les vacances… Alors il y a quand même eu après les marées d’équinoxe parce qu’entre temps moi elle est rentrée dans la maison. Je n’en ai jamais eu très haut, vous voyez on voit la trace ici. La première marche jusqu’en haut de la première marche et puis c’est pareil, la maison ça va en pente vers l’arrière donc forcément plus on avançait, plus il y avait de l’eau. Mais après les marées d’équinoxe, il y a eu une petite baisse.
Alors ça concerne un peu le sentiment par rapport à l’habitat… Comme il y a eu une baisse, moi dans la salle je n’en avais plus. Et il y en avait encore un tout petit peu dans la cuisine et il y avait… Je suis une grande randonneuse et je le suis encore pas mal… J’avais prévu une semaine dans le Lubéron. Alors la semaine précédente j’avais dit « ah non, je ne pars pas », pourquoi, je ne sais pas… J’essaierai de l’expliquer, de l’analyser comme je vous l’ai dit au téléphone mais… je ne sais pas. Mais le fait que ça avait baissé, mes deux filles me disent, « maman, tu peux partir, tu vois bien ça baisse, nous on va gérer ».
Donc je suis quand même parti, avec beaucoup de difficulté, pendant une semaine je n’ai pas dormi, je téléphonais trois fois par jours. Ils ne m’ont jamais dit que ça avait remonté et malgré tout, ils m’ont juste dit… Donc je suis parti le samedi et je rentrais le samedi je crois, ils m’ont juste dit la veille de rentrer « comme chez vous le compteur à gaz n’est pas dans l’eau, on a réussi à faire le forcing pour qu’ils remettent le gaz pour avoir du chauffage, un peu de chauffage et avoir un petit peu… cuisiner un petit peu… Et puis alors ma fille me dit « maman, tu ne seras pas étonnée mais on a un peu évacué une chambre et puis on a installé tout ce qui te faut au premier étage comme ça tu pourras rester dans la maison ». Parce que moi je pouvais aller chez mes filles mais je disais « non, moi il faut que je reste, non non, je ne veux pas partir ». Alors c’est ça que je ne sais pas pourquoi. Je ne suis pas quelqu’un d’attaché au matériel. Je suis attaché aux souvenirs c’est vrai. Mais pas trop au matériel en fait. Moi je dis toujours le pire de quoi que ce soit c’est la santé en fait. Le reste, bah voilà tout, on perd un buffet, on perd… C’est pas dramatique… mais là… Si je l’analyse quand même un petit peu par rapport à ça, c’est que l’inondation est arrivée juste un an après le décès de mon mari, donc cette maison nous l’avions achetée ensemble, vous imaginez bien qu’elle n’était pas comme ça… Nous avons fait des travaux ensemble, là, juste un an après, c’était trop proche et en fait il est bien évident, j’en n’étais pas guérie et je pense que c’est ce qui a fait que … Je ne voulais pas quitter cette maison parce qu’en fait c’est là que j’avais toute ma vie, tous mes souvenirs, mon mari en fait. S’il était encore présent, c’était ici. Donc je pense que c’est ça essentiellement. Mais je n’en suis pas sûre. Et … je ne sais plus où j’en étais…
EC: Comment ça s’est déroulé alors pendant l’inondation ?
AK : Je suis restée tout le temps ici. La maison a été inondée cinq semaines. Ils m’avaient tout remis à l’étage… Alors il faut savoir que c’est quand même une vie très difficile parce que ce qu’on ne pense pas, c’est que plus d’eau, plus d’électricité, plus de gaz… Plus d’eau, plus de toilettes, plus de chasse d’eau, plus de possibilité de se laver. Plus d’électricité, plus de téléphone, plus de radio. On est coupé du monde. Alors j’avais récupéré un ancien téléphone, une radio à pile pour avoir un peu de nouvelles. Et en terme de gaz, mon beau-fils avait récupéré un chauffage avec… Vous savez, les bouteilles de gaz butane mais il fallait l’utiliser avec parcimonie parce que l’air ambiant étant tellement saturé d’eau que ça risquait de faire éteindre et ça risquait l’asphyxie. Et puis il m’avait récupéré un gaz ancien qui fonctionnait avec du gaz butane. Parce que qui dit aussi plus d’électricité dit aussi plus de chauffage centre. C’est compliqué mais on n’y pense pas dans un premier temps.
Alors bon, j’ai continué à vivre ici, j’avais des amis très sympas qui me disaient « le soir, tu vas venir manger chez nous », alors je leur disais « ah ok, mais moi quand on m’invite à manger, il faut aussi m’inviter à la douche », donc tous les soirs j’allais manger chez des amis différents et j’emmenais mon matériel de toilette pour prendre ma douche et puis ça s’est installé comme ça. Alors c’était relativement rigolo… Rigolo pour les autres, pas vraiment pour moi… Parce que j’avais mes chaussons ou mes claquettes pour aller en haut mais en bas j’avais ma paire de botte et dès que j’arrivais à l’avant dernière marche j’enfilais mes bottes et voilà quoi. Mais par contre c’était quand même relativement difficile.
Alors là il n’y en avait pas beaucoup mais après, dès qu’on arrivait sur la pelouse il y en avait beaucoup et avec énormément de courant. Parce que forcément l’eau s’engouffrait et vous allez voir, ça faisait vraiment un torrent. J’ai une véranda que nous avions ouverte pour que ce ne soit pas cassé mais aussi ma porte de garage que vous avez vue là sur la façade. Parce que justement, en milieu de semaine, un soir, au tout début j’arrivais à fermer, j’arrivais encore à fermer les portes et un soir, en milieu de semaine, impossible de fermer ma porte de garage et je… J’étais un peu catastrophée… Partir avec tout grand ouvert en fait… Et cependant mon beau fils avait essayé de faire des chicanes avec des parpaings et tout… C’est pour vous dire la force de l’eau. Mais il avait quand même réussi à fermer. On a vu la porte en bois, une porte en bois, maintenant elle est en PVC, avant elle était en bois… s’arrondir. Elle allait exploser par le courant. Et d’ailleurs, j’ai passé des petites choses parce que je suis allé un peu plus loin, un peu plus vite mais on avait l’armée qui était arrivée pour protéger le quartier et un des militaires est arrivée en courant en criant « ouvrez, ouvrez ça tout de suite, ça va exploser ». Et ils ont dû se mettre à deux pour ouvrir la porte. Ca a été… Voilà ce que j’ai passé entre temps.
C’est que je n’ai pas été inondée cette semaine, j’ai été inondée une semaine après en fait. Alors, ce qui est réel, c’est que la semaine où je suis restée là, je n’avais pas d’eau dans la maison encore, j’avais de l’eau dans la cour et moi je ne m’en suis pas rendue compte, mais mes filles m’ont dit après que je traînais une grosse angoisse, j’étais stressée, j’avais une angoisse, une… angoisse atroce en fait. Et moi, je ne me rendais pas compte de ça. C’est mes filles qui essayaient de faire tout. Et en fait, la belle-mère d’une de mes filles est venue à plusieurs reprises coucher ici.
L’eau est passée, la nuit des rameaux, le dimanche matin, je me suis levée et ça y est, l’eau était dans la maison et en fait elle n’est pas non plus passée par les portes, elle est passée, là par le placard du couloir, là. Et ma fille aînée essentiellement m’a dit « c’est drôle, quand tu as téléphoné et que tu as dit ‘ça y est elle est rentrée’ » elle a presque senti un soulagement. Il n’y a plus ce doute, il n’y a plus cette incertitude, quand et comment… Ca y est, elle est là. On s’installe, elle est là. Après moi j’ai un peu comparé, je pense un petit peu… Un peu quand on a un ennemi en face et qu’on ne sait pas comment ça va se passer et en fait l’eau était notre ennemi là…
Je ne sais pas… Je ne sais pas si vous comprenez ce que je veux dire mais bon elle était arrivée, voilà, on s’installe. Alors moi j’ai toujours essayé de garder, tout au moins en face des gens, en face de tout le monde, un certain humour parce qu’étant la directrice de l’école, je connaissais beaucoup de monde dans le quartier et c’était un quartier vieillissant, et c’était des personnes très mal prises parce que n’ayant pas forcément des enfants qui s’occupaient d’elles, alors j’en ai recueillies à la maison. Et un de mes beau-fils aussi qui travaille dans la ville et qui est artisan a beaucoup beaucoup beaucoup aidé. En plus, il avait un camion donc il transportait les parpaings etc. Il a beaucoup aidé les gens du quartier.
Pendant, c’était dans l’action. Et puis après ça a été aussi pour les assurances. Mais de ce fait là, j’avais l’impression de rester assez sereine. J’essayais d’ailleurs de blaguer parce que par exemple pour traverser le quartier, la ville avait amené une barque, une petite barque. Et je me souviens ma mère était âgée et vivait encore. Elle avait plus de 90 ans et je me souviens de lui avoir dit une fois au téléphone « cette année on n’a pas les moyens de partir en vacances mais c’est pas grave, Venise est venue chez nous donc nous sommes en vacances ». Elle s’est un peu fâchée en disant « oui, tu vois pas, la situation dans laquelle tu es, tu trouves encore le moyen de blaguer », je dis « écoute, qu’est-ce-que tu veux y faire ? ». Voilà, grosso-modo.
Alors après, par rapport à l’école, notre inspecteur départemental avait trouvé une solution qui ne nous a pas plu… C’est à dire qu’il voulait dispatcher l’école en fait dans plusieurs écoles de la ville. Et nous… Alors entre temps malgré tout, nous avions des enfants qui étaient partis dans les familles. Donc nous n’avions plus la totalité des enfants. Et… Quand l’inspecteur nous a appris ça, nous avons dit « non ». On a déjà le traumatisme de l’inondation, les enfants ont subi un gros gros gros traumatisme, vraiment, extrêmement important, parce que… j’essaierai de vous expliquer après… Et nous, nous avons besoin d’être ensemble…vous savez bien, l’union fait la force. Nous vivons les mêmes choses donc nous avons besoin d’être ensemble pour être plus forts, pour se sentir plus fort. Donc nous avons cherché une solution, aidé par l’adjoint au Maire qui s’occupait des écoles et nous avons trouvé une solution, nous sommes allés chercher l’inspecteur, nous lui avons dit « on a la solution », on l’a emmené. Donc nous avions trouvé trois classes libres dans une école et près de cette école, il y avait une ancienne caserne désaffectée qui avait des salles qui étaient utilisées par des associations mais ponctuellement. Donc il suffisait de leur demander de nous le laisser, ce qui a été accepté tout de suite, quelques salles suffisamment grandes et donc nous nous sommes installées comme ça, trois et trois, et ce qui permettait de se rejoindre aux récréations et de se rejoindre aussi à la cantine du midi. Donc c’était une solution plus acceptable.
Par contre, il nous fallait partir tous les matins en bus, parce que cette école, si vous connaissez un petit peu Abbeville, elle se trouve à côté de l’église St-Gille, et la caserne se trouve là. Donc nous partions le matin et nous revenions le soir en bus… Imaginez une centaine de gosses dans un bus. Alors moi, je me suis engagée auprès des parents de les accompagner matin et soir. Ca m’a valu quand même des supers remerciements… Pas le fait de me dire merci en direct mais par exemple, un journaliste qui demandait à une maman « ça ne vous effraie pas de laisser partir vos enfant en bus comme ça, des petits qui n’y ont pas été habitué ? » et la maman a répondu : « ah, absolument pas, avec AK il n’y a pas de danger ». Donc une parole comme ça c’est la reconnaissance de ce qu’on est dans un quartier. Donc voilà, ça s’est installé comme ça, on est allé dans cette école pendant un trimestre.
Moi j’ai été inondé pendant 5 semaines mais les plus inondés ça dépassait deux mois et demi peut-être et puis l’école pratiquement trois mois.
EC : D’accord. Et comment s’est terminée l’inondation pour vous ?
AK : Ici ? Alors, c’est la rumeur mais c’est pas une rumeur. L’inondation s’est terminée bêtement. Etaient venus beaucoup de militaires. Une unité, un contingent pour la sécurité du quartier et un autre pour consolider les berges de la Somme, qui forcément… Je vous ai parlé du courant mais dans la Somme en fait, c’était la même chose. Les gens du quartier, on était très surpris parce que par rapport au… quartier, nous avons à la droite de la maison, la rivière du doigt. A gauche les nonnains, qui vont se jeter dans la Somme. La Somme n’est pas loin par rapport à ici. Et il y avait encore un mètre sous berge. La somme n’inondait pas du tout, elle avait encore l’eau un mètre sous berge. Donc nous on se disait « c’est pas normal ». Et en effet, c’était d’autant moins normal que les soldats consolidant les berges de la Somme, notamment sur Fontaine en fait… Un jour un soldat a dit bêtement « c’est bizarre, la bellifontaine, qui est une petite rivière qui se jette dans la Somme, coule à l’envers. Normalement c’est la Bellifontaine qui se jette dans la Somme et là, dans la réalité, c’était la Somme qui se jetait dans la Bellifontaine et qui nous a inondés. C’est pour ça que nous, nous avons été inondés par les marais en même temps. Parce que la bellifontaine, n’avait forcément pas la contenance d’évacuer toute cette eau… Forcément, elle a débordé dans les marais de Fontaine qui on ensuite débordé dans les marais d’Epagne. Mais à partir de là, la Somme n’inondait plus du tout. Il y avait encore un espace sous berge. Et ensuite, les marais de Mareuil, St-Gilles et Rouvroy.
Le supérieur entendant ça, a constaté lui aussi. Ils ont coupé la bellifontaine en fait, ils ont mis des sacs de sable de façon à ce que la Somme ne puisse plus se jeter ou de façon minime… Parce qu’il fallait quand même que la bellifontaine puisse quand même se jeter dans la somme en laissant un tout petit filet… Et à partir de là, l’inondation a évacué. Petit à petit, l’eau qui s’était amassée là dans les marais, s’est évacuée par les différentes rivières. La rivière du doigt… Les nonnains, non mais la rivière du doigt… Donc, ça a commencé à évacuer tout doucement. Et c’est en fait… C’est pareil, ce sont des choses qu’on ne sait pas mais il y avait… C’est la cause de l’inondation par les marais, c’est pas la cause de l’inondation hein. Il faut séparer les choses.
A chaque rivière qui se jette dans la Somme, normalement il y a une vanne d’arrêt… Bon, c’est bien fichu, c’est une vanne qui n’arrête pas complètement mais qui ferme en parti le débit… Faute d’entretien, ces vannes là ne fonctionnaient plus. Elles ont été refaites après. C’est ce qui a fait l’inondation de notre quartier. Ce n’est pas la cause de l’inondation, loin de là, parce que quand même, la Haute Somme était inondée par la Somme. Mais pour nous c’était ça.
EC : L’eau est partie en combien de jour ici ?
AK : Oh, assez rapidement, un jour ou deux dans la maison puis tout doucement après. Mais oui, un jour ou deux environ.
EC : Et, est-ce-que vous pourriez décrire, comment vous l’avez supporté ?
AK : Globalement, dans l’immédiat, j’ai cru bien le supporter. Hormis ces huit jours d’angoisse, de grosse angoisse, avant qu’elle entre dans la maison. Une fois qu’elle a été entrée, je vous ai un peu dit tout à l’heure, je le prenais un petit peu à la plaisanterie, j’essayais de remonter le moral des troupes… J’étais installée, somme toute, pas si mal que ça. J’avais aussi ma chance d’avoir beaucoup d’amis et aussi du fait que j’étais randonneuse, j’avais quand même… Bien sûr c’était fin mars, début avril, il faisait très froid cette année là, néanmoins, étant randonneuse, j’avais des gros anoraks, des grosses chaussettes, des gros duvets etc. Donc l’un dans l’autre, ça se passait assez bien. Ensuite moi, je suis issu d’un milieu très très modeste : des tous petits cultivateurs de la campagne. Et le fait d’être privé… D’être… Quelque part on a vécu un petit peu un retour en arrière de 30-40 ans. Ca ne m’a pas fortement choqué, je m’étais bien adapté, tout.
Il y a qu’une chose… Une chose qui me gênait et je vous en ai lancé un petit air au téléphone… Il y a une différence entre ce qu’on comprend et ce qu’on ressent. Alors, ces militaires qui étaient là, comme l’inondation commençait à la route qui était là, ces militaires étaient installés devant l’église, donc à proximité et ils étaient là pour notre protection, parce qu’il faut savoir quand même que… Ca je l’ai pas bien vécu, pas trop bien vécu je dirai, c’est le premier week-end, quand toute la France a su que on a été inondés. Je ne dirai pas que toute la france a débarqué en voyeur mais je dirai presque au moins la moitié du département. Le premier week-end, ça a été l’attraction publique et ça, c’est pas facile à vivre, parce qu’on n’est pas des singes et on subit quelque chose qui est pas facile, qui est un peu dramatique et on voit des gens venir se balader en talon avec le petit chien etc. On n’avait réellement envie de prendre un seau et de leur jeter un seau d’eau sur la tête pour qu’ils comprennent ce que c’est que d’être… de vivre dans l’eau. Mais bon, ça n’a duré qu’un week end, c’est pour ça que l’armée est arrivée pour nous protéger…
Mais en même temps, passée toute cette phase, d’abord d’action puis d’installation, il y a eu tout ce trimestre où on allait à l’école ailleurs, où l’eau a diminué et donc moi je m’étais engagée à prendre le bus avec les enfants. Mais même avant, par exemple, une fois ces militaires, alors est-ce-que c’était des jeunes qui venaient d’arriver… on m’a demandé ma carte d’identité pour rentrer chez moi… alors là j’ai craqué… Ca a été … Pas rigolo mais assez spectaculaire parce qu’une de mes anciennes élèves passait par là et je me suis effondré dans ses bras… Et je me souviens que sa mère m’a répété ensuite qu’en rentrant chez elle, elle a dit à sa mère « oh, mais tu te rends compte, AK, tu te rends compte, elle a craqué dans mes bras »… Je vous reparlai après, justement de ce sentiment par rapport aux enfants… C’était pour elle inconcevable que AK, sa maîtresse d’école, la directrice de l’école… Elle ne pouvait pas craquer, c’est pas quelqu’un comme tout le monde, alors là c’était inconcevable.
Et moi, ce que j’ai très très mal vécu et ça j’en ai eu conscience, c’était après, le matin, on était en mai-juin, j’ouvrai mes volets, ma fenêtre sur la façade et à 8h je voyais ce que j’appelais la relève de la garde… C’est à dire, les militaires qui avaient passé la nuit étaient remplacés par d’autres militaires pour la journée. Et là, je vivais très mal parce que… Je disais « mais qu’est ce qu’on a fait au monde pour être enfermés ? », parce qu’on est enfermés chez nous… « Qu’est ce qu’on a fait au monde pour être prisonnier ? ». Et ça je le supportais… je crois que c’est ce que j’ai supporté le plus mal… Après, ce que j’ai oublié de vous dire… Moi je ne m’en suis pas trop rendu compte mais ça ça a été la réflexion unanime des gens du quartier. Pendant l’inondation ça a été le silence, hormis…
Alors forcément, je dirai quelque part, il n’y avait presque plus de vie dans le quartier, parce que là vous entendez les voitures, mais là il n’y en avait plus… Et puis que vous verrez derrière, il y a des chiens, tout ça, là il n’y en avait plus… Alors, le silence hormis l’hélico… Alors ça c’est horrible… Imaginez dans un grand silence l’hélico qui passe au ras des maisons, au ras des toits… Et la nuit avec une torche… Alors, je vous dis pas, on y voit comme en plein jour… ça, c’est pas facile… La nuit essentiellement, ça crée un… Comment dire… Ca créée l’impression de danger…alors qu’on n’était pas en danger. Et par rapport aux enfants qui ont été justement… qui sont partis et qui ont subi cette inondation… Les enfants ont été traumatisés par le fait que (alors ça c’est parole de psychologue), par le fait que l’école pour eux, qu’ils soient dans n’importe quelle famille, une bonne ou un mauvaise famille, bien ou moins bien, l’école c’est forcément une cellule qui est quelque part indestructible… Un hâvre de paix… L’école, c’est une institution… Et là, l’école qui est agressée par un élément naturel… Mais agressée quand même, ça les a fortement atteints. Réellement atteints.
Après la deuxième chose qui les atteints c’est que nous sommes allés dans une école et forcément nous croisions les autres enfants de l’école… Alors je ne sais pas si les collègues n’ont pas su dire les choses ou quoi, mais les autres enfants de l’école les appelaient invariablement « les inondés » et ça ils l’ont très mal vécu, très très mal vécu. Il a fallu nous après, faire un gros travail là-dessus, en expliquant qu’ils disaient ça parce qu’ils ne savaient pas comment dire, ils ne trouvaient pas d’autres mots, ils ne savaient pas les prénoms… Donc ça a été très, très mal vécu, ça aussi.
EC : Vous disiez tout à l’heure que pendant l’inondation ça allait, vous vous sentiez plutôt bien… Après coup, il y a eu une différence ?
AK : En fait, moi je ne m’en suis pas bien rendue compte. Mais après coup, au mois de juillet entre autre, quand les vacances sont arrivées, mes filles m’ont fait constater que je n’allais pas bien du tout, que j’avais subi un traumatisme beaucoup plus important qu’il n’y paraissait, et pour deux raisons. Alors probablement sur le plan psychologique etc, mais aussi par le fait de ne pas avoir dormi. Parce que tout à l’heure, je vous ai dit qu’à trois heure du matin, j’étais au milieu de la rue, en train de parler, de discuter avec le Maire. Et moi je peux vous dire que, sans me tromper, pendant trois semaines, si j’ai dormi une heure par nuit, c’est à peu près tout… Pour différentes raisons… D’abord pour la raison que c’est pas simple de vivre… Et puis aussi, je suis pas quelqu’un de très… Ni très téméraire, ni très rassurée… Et que je ne pouvais plus rien fermer… Même si j’avais les militaires qui étaient là, la fenêtre à peu près mais ma porte ne fermait plus, ma porte de garage était grande ouverte, et j’avoue que je pense que j’avais un peu la trouille… D’ailleurs pour vous dire, c’était hyper-rigolo, ça faisait rire mes filles… J’avais une couette grosse comme ça, on ne me voyait plus sous la couette et je dormais toute la nuit avec un transistor allumé, pour ne pas entendre les bruits, pour être dans un cocon fermé. Mais ça je pense que c’est inhérent à mon tempérament.
Alors bon, vous savez que le manque de sommeil c’est aussi traumatisant, c’est difficile physiquement parlant. Et je me suis aperçue… Elles m’ont obligée à m’apercevoir que par exemple j’étais arrivé à un stade de… Je ne saurai pas comment le qualifier… Mais où dans ma conversation, je pouvais dire un mot pour un autre… Et là où j’ai réellement réagit… Parce que quand elles me disaient ça, je disais « c’est pas possible, qu’est-ce-que vous me racontez là ». Et j’ai envoyé un mot à un cousin et qui leur a renvoyé justement… Qui l’a renvoyé en lui montrant « regarde ce que ta mère, elle a écrit »… C’était incompréhensible… Il y avait des mots oubliés ou des mots écrits pour un autre. Alors c’était pas mon habitude, j’étais directrice d’école. Et en plus ayant une grande mémoire, j’avais la mémoire qui était… D’ailleurs ça a duré un certain temps.
J’ai refusé de prendre une… des médicaments classiques… Et je suis allée voir un homéopathe parce que je ne voulais pas… Et là je me suis bien rendu compte que je n’étais vraiment pas bien et que je n’avais plus de mémoire du tout… Alors, j’avoue que quelque part, depuis toujours j’avais une très grande mémoire… je dis toujours… « Si je suis devenu directrice d’école, ce n’est pas d’avoir travaillé, loin de là, c’est d’avoir eu la chance d’avoir cette mémoire…parce que je n’ai jamais bossé et si j’avais bossé, j’aurai pu sûrement faire mieux, mais bon ». Comme beaucoup.
ça va très bien, j’ai bien vécu ma vie mais là je me suis affolé quand même. Et je me suis rendue compte aussi que je n’avais plus de mémoire c’est…je faisais énormément de mots fléchés, je jouais au scrabble, mots croisés, etc. et là je n’arrivais plus…
EC : D’accord. Est-ce-qu’il y avait autre chose que la mémoire qui avait changé ?
AK : Essentiellement la mémoire. Mais probablement quand même une philosophie de vie en fait…plus ou moins. A force, on relativise les choses, notamment matérielles. Mais là je me dis que je n’en suis pas sûre… Quand je vois comment j’ai réagi de ne pas quitter la maison, je me dis que ça c’est pas forcément garanti.
EC : Vous savez que votre maison était potentiellement inondable ?
AK : Non, du tout.
EC : Et est-ce-que vous pourriez me décrire les dommages matériels que vous avez subie ?
AK : Les dommages matériels, je dirai que justement, j’ai eu la chance d’avoir une maison qui date des années 1880, qui tient debout et qui a été construite par des gens qui connaissaient la nature du terrain et qui savaient que c’était un terrain humide… Et une maison en brique comme la mienne fait que… La brique est un matériau qui est… Je… Je cherche un mot qui irait… Plus… C’est pas flexible, je cherche le mot juste… Par rapport au béton, ça peut bouger légèrement, ça ne subit pas de problèmes.
Alors, par contre, le salon et la cuisine avait un carrelage qui était ancien, qu’on n’avait pas changé mais il faut savoir que les anciens carrelages ne sont pas sur béton mais c’est directement sur du sable en fait. Et après les inondations, la chaleur revenant, j’avais une champignonnière dans mon salon… Les champignons poussant, ils ont fait remonter le carrelage… Ce qui a été refait, ça a été sur une hauteur d’1m50, tout le revêtement, pour l’isolation. Quand nous avions acheté la maison, nous avions mis un revêtement en polystyrène et plâtre, donc tout ce revêtement jusqu’à 1m20 a été changé tout autour. Forcément papier, peinture tout autour. Le carrelage dans le salon et la cuisine… Après moi j’ai tout sauvé en termes de meubles…
Par contre, et ça montre aussi la force de l’eau… A l’époque, là maintenant j’ai une véranda… A l’époque ce n’était pas carrelé, c’était un béton et le béton était fissuré. Je pense que ça ne se serait pas produit ici. ça s’est produit avec le courant. La pelouse évidemment…
EC : Il n’y avait pas de matériel dehors qui a été endommagé ?
AK : Non…
EC : Parmi ces dommages, là il y a en qui vous ont affecté plus que d’autres ?
AK : Non, absolument pas… Non.
EC : D’accord. Est-ce-que vous pourriez préciser quelles ont été les conséquences à terme pour vous ?
AK : D’une manière générale, des conséquences… Pas matériel ?
EC : Pas forcément.
AK : Quand même, si. Après, à plus long terme… Par exemple, il s’est trouvé que ma première petite fille avait trois ans et aux alentours du mois de novembre, ma première petite fille… parce que le deuxième est née pendant l’inondation… Donc ma petite fille a fait un purpura rhumatoïde… Or le purpura rhumatoïde, c’est pas banal, c’est quand même une maladie relativement grave, assez psychosomatique… Alors je dirai… Le problème c’est que je ne peux pas complètement dire que ça incombe à l’inondation… L’inondation en fait parti. Mais par exemple à cette époque, quand la petite a eu ce purpura, je répétais sans cesse, « il y a un an, on m’a pris mon mari, on m’a pris mon travail, mon école, et maintenant on va me prendre ma petite fille ; qu’est-ce-qui me reste ? Qu’est-ce-qu’on peut encore me prendre ? ».
Alors, je ne saurais pas comment qualifier ce sentiment, mais un peu à la fois une fatalité et puis un… un découragement peut-être. Quelque chose de… Presque un anéantissement à ce niveau là. Je vous dis, l’inondation en fait parti mais ce n’est pas dû à l’inondation dans la totalité. Et ce purpura rhumatoïde était une conséquence de l’inondation, de la même façon… indirecte… Parce que cette petite quand elle est née, elle est née quelque part sous le signe de l’eau… Et ce qui était surprenant… Comme la plupart des bébés, mais pas tous, elle aimait énormément l’eau. Et quand elle a eu deux ans et demi, mon mari s’est suicidé… il s’est jeté dans la Somme, elle a subi un premier traumatisme parce qu’elle était toujours là, c’était notre première petite fille, ses parents n’étaient pas loin, elle était en permanence avec son « papou » comme elle disait… Je dirai trois fois par semaine… Et nous on a fait le choix de ne pas lui cacher, qu’il s’était jeté dans l’eau.
Et donc ça a été… Alors on ne peut pas mesurer les conséquences de ces choses là…On l’a mesuré seulement après… Ca a été une agression en fait, pour elle. Parce que l’eau qui, pour elle, depuis sa naissance était un élément de bien-être… En plus elle allait aux bébé-nageurs… C’était un élément où elle se sentait très à l’aise dans l’eau. Elle a appris à nager comme un poisson. Et un élément de bien-être pouvait là être un élément méchant puisqu’il lui avait pris son papou.
Et un an après, ce même élément envahi la maison de mamie. Ce qui a entraîné des conséquences pour elle parce qu’elle qui venait régulièrement coucher ici et qui venait… Moi je la prenais les mercredis, etc. A été une période où elle ne pouvait plus venir, ensuite une période où elle ne pouvait plus rester à coucher, etc. Et à nous, cet élément qui était un élément de bien-être pour elle, agressait… Et à la suite de ce purpura rhumatoïde, qui est, je vous le répète, une maladie assez psycho-somatique… Elle a dû avoir un suivi psychologique pour lui expliquer, pour bien lui faire comprendre que l’eau ça n’est qu’un élément et qu’il pouvait être bénéfique quelque fois et aussi agressif d’autres fois. Ca n’a pas duré longtemps mais c’est pour dire qu’on ne se rend pas forcément compte.
EC : D’accord. Avec maintenant 12 ans de recul, quel regard vous portez sur cette catastrophe ?
AK : Moi je me dis que quelque part on a eu beaucoup de chance parce que c’est une catastrophe qui n’a pas entraîné de mort réellement directe… Après, on ne peut pas dire… Il y a probablement eu des traumatismes qui ont fait que des personnes très âgées en mauvaise santé sont peut-être mortes un peu plus prématurément qu’autrement… Mais on a quand même eu cette grande chance de ne pas avoir de noyés brutalement, etc.
On a eu une deuxième chance, c’est d’avoir été relayés par les médias et d’avoir eu énormément d’aide, essentiellement matérielle mais aussi morale… Moi, j’ai des collègues qui m’ont téléphonée de toute la France… Mais rien qu’un petit coup de fil, ça aide… Après sur le plan matériel, je vous passe, ça a été beaucoup trop, beaucoup trop… Alors par contre, je me dis que s’il fallait recommencer… Je ne sais pas comment je le prendrai là maintenant… Si de nouveau ça revenait, je ne sais pas… Parce que… C’est facile à comprendre… Quand ça nous est arrivé, on a avisé, au coup par coup. On ne savait pas ce qui nous attendait, tandis que maintenant on saurait. Alors, je ne sais pas… où on gérerait différemment parce qu’évidemment quand on sait, on gère différemment… Je ne sais pas… J’avoue que là, c’est une réelle interrogation quand même.
EC :D’accord. Est-ce-que vous pensez que cet événement a changé quelque chose en vous ?
AK : Je ne saurai pas dire vraiment… Non, je vous ai dit… En fait, on a du mal à isoler l’événement au contexte de mon histoire… Donc… Je ne sais pas trop… Sûrement moins que chez d’autres personnes parce que je pense que j’ai justement, par le fait d’avoir aidé beaucoup les autres… d’avoir essayé de faire face… Je ne sais pas non… Je ne saurai pas dire…
EC : D’accord. Ce type de catastrophe a généralement des conséquences négatives mais il arrive paradoxalement qu’il y ait des conséquences positives. Qu’est-ce-qui selon vous a été positif ?
AK : Pour moi, deux choses essentielles. D’abord, je vivais dans la maison et depuis le décès de mon mari, je n’avais rien changé. Tout était resté à la même place. Là, forcément, j’ai été obligé de tout changer. Pas les meubles, pas les murs, pas les gros meubles bien sûr mais toute la déco a forcément été changée, chose que je n’aurais pas faite si l’inondation n’avait pas eu lieu. Ca m’a fait tourner une page, ça c’est certain.
Et une autre chose quand même que ça a fait. Ca m’a prouvé que même seule, j’étais capable de faire face à un problème grave, à un problème difficile. Bon, j’étais déjà quelqu’un de solide… J’ai fait face… Mais là ça m’a prouvé que vraiment dans une situation grave, j’étais… Alors, ça je savais que j’étais capable de le faire par rapport à mon travail mais par rapport au… Sur le plan personnel, jusque là, nous étions deux pour faire face. Et là, ça m’a prouvé que j’étais capable de faire face seule. Donc ça, c’est positif.
Et le troisième élément positif, c’est la solidarité dans le quartier, et encore maintenant. Et alors, ça a changé beaucoup, ça a changé énormément les choses. Dans le quartier, auparavant j’étais AK… Un peu sur un piédestal, parce que c’est un quartier qui est un peu village, autour de son église, excentré de la ville, etc.
AK, la directrice de l’école qui était un peu… Je dirais pas qui savait tout, mais c’était « AK ». Le fait que j’ai été beaucoup, beaucoup, beaucoup, beaucoup, beaucoup, beaucoup interviewée… par tous les médias. Je suis passée sur toutes les chaînes de télé… De la première à la sixième, les télés étrangères… j’avais des amis Allemand qui m’ont vu en Allemagne, en Suisse, etc. Et les médias forcément m’appelaient « AK ». A la suite de l’inondation, les personnes du village m’ont appelé par mon prénom. Et puis encore maintenant… 12 ans après… Les personnes âgées que je connaissais très peu, à qui je disais bonjour en passant, celles qui vivent encore, ben, je ne peux pas passer sans les embrasser par exemple. Ils ne comprendraient pas. Depuis ce temps là… Alors maintenant il y a des nouveaux dans le quartier mais les gens qui étaient là au moment de l’inondation, ça a créée un peu une grande famille, une solidarité de quartier et puis une… Je vais pas dire une reconnaissance, c’est pas une reconnaissance, c’est un … presque une amitié quoi. Moi je me refuse à côtoyer trop… à m’immiscer dans les familles, trop, parce que j’estime que c’est jamais bon ça finit toujours par créer des malentendus, etc. Mais en passant, c’est quelques mots par ci, par là, même à des gens que je ne connaissais pas auparavant…
Ah, oui, ça a créée une grosse, grosse grosse… solidarité et… à la limite de l’amitié quoi.
EC : Et au sein de votre famille, est-ce-qu’il y a des choses qui ont changé, que ce soit négatif ou positif ?
AK : A sein de la famille ? Non, pas vraiment parce que j’étais très proche de mes filles, on est resté très proches… Ma deuxième fille s’est mariée pendant l’inondation, et puis mes frère et sœur… Non, on était proches donc non…
Non, il y a eu beaucoup d’aide, ils sont venus beaucoup m’aider, les uns et les autres…
EC : Alors, vous en avez déjà un peu parlé mais est-ce-que le fait de vivre cette inondation vous a appris quelque chose ?
AK : appris quelque chose… Si, appris beaucoup de chose… J’en ai parlé tout au long… Beaucoup de choses sur le plan psychologique, moral, etc. Ca m’a fait prendre conscience en fait d’une chose que je n’avais pas vécue mais un peu le… De ce qu’ont pu vivre nos parents à la fin de la guerre probablement. C’est à dire le… Entre autre, la solidarité, le manque, l’enfermement… Nos parents ont vécu ça pendant la guerre… Et je pense que là j’en ai pris conscience. Parce que les personnes qui avaient vécu la guerre le disaient. « ah, bah c’est comme pendant la guerre ». Et autre chose aussi, les profiteurs par exemple… Parce qu’il ne faut pas croire, tout n’a pas été rose. On a eu beaucoup de dons mais on a eu aussi des profiteurs…
Après je vous dis, basta, si ça leur a fait du bien temps mieux, moi ça ne m’a pas privé donc… Ca ça été le plus que j’ai appris, notamment sur un plan psychologique, je dirai, sentimental. Après sur un plan matériel j’ai appris beaucoup de choses parce que… Comme je vous l’ai expliqué, comme j’ai été directrice d’école, à propos du Plan de Prévention des Risques, j’ai été sollicitée énormément… pour faire parti de différents colloques, etc. Et de ce fait là, j’ai côtoyé notamment des politiques et des hydrogéologues. Et là, surtout les hydrogéologues, ils étaient pointus dans leurs explications… Alors je ne saurai même pas vous donner toutes les explications qu’ils nous ont données… Mais j’en ai quand même appris beaucoup parce que, moi mon niveau n’était pas à cette hauteur là, même si on sait des choses, c’est assez global… Donc de ce côté là, si ça m’a fait apprendre beaucoup, beaucoup de choses.
EC : D’accord. Et avant l’inondation de 2001, vous aviez déjà été inondé ?
AK : Non, c’était la première fois.
EC : Et depuis vous n’avez plus été inondé ?
AK : Non… Quelques fois, mais ça c’était déjà arrivé… Il arrive, suivant la hauteur de la mer selon les marais, il peut m’arriver d’avoir ça d’eau dans la cave… Mais c’est normal, on n’est pas très loin de l’eau, donc c’est normal. Non, non, on n’avait jamais rien eu.
D’ailleurs l’inondation, ça m’a appris beaucoup de choses sur le plan de l’histoire du quartier… j’ai même découvert pourquoi la rue là-bas s’appelle « chaussée »… Ca ne m’avait jamais effleurée… C’est une chaussée, parce qu’une chaussée c’est un passage surélevé au milieu d’un marais… Je ne le savais pas auparavant. Donc par rapport aussi par rapport à l’histoire du quartier… Le quartier avait été inondé aux alentours des années 1850… mais c’était une inondation de mer… En fait la mer était remontée par la somme et c’est à la suite de ça que la Somme a été canalisée. Donc depuis ce temps là, la somme ayant été canalisée, avait fait qu’il n’y avait plus d’inondation… Et auparavant, apparemment le quartier était, assez souvent inondé…
EC : D’accord. Est-ce-que vous avez fait parti de l’association AVIA ?
AK : Oui.
EC : Est-ce-que vous pourriez expliquer les raisons qui vous ont poussé à vous investir dans cette association ?
AK : Alors moi j’avais pensé la créer pour le quartier. Et puis en fait quand je suis rentrée de mes huit jours, quelqu’un d’inconnu avait créée une association…
Pourquoi créer une association et en faire partie ? C’était essentiellement pour rendre service à tout le quartier. Parce qu’en fait ça m’a quand même appris entre temps que quand on côtoie les gens, on n’en connaît pas forcément, quelque fois, un peu leurs soucis aussi bien matériels que … que leur détresse quelque part. Et je me suis notamment aperçue que surtout au niveau des personnes âgées, finalement, extérieurement, ils avaient l’air de vivre assez bien mais je vous dis par exemple, j’ai découvert qu’une personne âgée qui avait pourtant une fille qui habitait Abbeville et qui avait des revenus relativement importants, était laissée de côté… J’ai dû la recueillir… Elle était laissée de côté parce qu’on est capable de dire qu’on ne veut pas de sa maman chez soi parce qu’elle n’est pas vraiment propre, etc. Des choses comme ça quoi… C’est un exemple…
Après, je me suis aperçu aussi que d’autres personnes se croyaient assurées et ne l’étaient pas. Parce qu’ils avaient des assurances qui dataient de 40, 30 ans et que leur assureur n’avait pas jugé bon, de modifier de temps en temps leur assurance et qu’ils se croyaient assurés et qu’en réalité ils étaient assurés… un peu vulgairement… Au ras des pâquerettes. Donc tous ces gens avaient besoin d’aide.
Et puis aussi, vous savez bien, les personnes, quand les personnes, certaines personnes du quartier avaient… Ne serait-ce que pour faire des démarches, avaient besoin… Parce que vous savez, les prédateurs arrivent aussi très vite… Les prédateurs, je veux dire, assurance, experts, tout ça, arrivent très très vite. Donc il fallait aussi préserver les gens du quartier de tous ces prédateurs. Et puis après en fait, on y a vu un autre intérêt parce qu’il fallait aussi, après, avoir des contacts avec les politiques pour qu’ils fassent le nécessaire pour que ça n’arrive plus.
Ca a été un gros gros travail de l’AVIA. Moi je m’en suis retiré pour des raisons très personnelles après. Mais même au début, pour que les travaux soient fait en temps en heure etc. que ça soit suivi, etc. Pour se défendre, parce que les Plan de Prévention des Risques (PPR), que ce soit le PPRI pour les inondations, ou pour les usines, c’est bien mais ce n’est pas toujours fait correctement je dirai. Il fallait aussi suivre ça de près.
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