Avec le soutien du Ministère de l’Écologie,
du Développement Durable et de l’Énergie

Par
Bernard B
en rapport à
Effondrement mine (Courrières)

10 MARS 1906 Dans la nuit étoilée et fraîche, bien emmitouflés, la musette pendue à l'épaule, les mineurs affectés au poste du matin gagnent par petits groupes leur fosse respective. Les jeunes devisent gaiement : demain, c'est dimanche. Quant aux plus âgés, ils s'interrogent sur le feu qui couve dans la veine Cécile ; on en parle tant ! Ils ne cachent pas leur anxiété. Arrivés sur le carreau de la mine après avoir passé entre les deux battants d'une haute grille en fer forgé qui y donne accès, l'atmosphère de travail avec ses préliminaires habituels reprend ses droits.

Les hommes se rejoignent dans une immense salle où ils déposent manteau et autres affaires. Puis, en tenue de mineur, ils passent à la lampisterie pour y retirer une lampe à huile contre indication de leur matricule. Et c’est la montée au moulinage où chacun, tant bien que mal, s’installe dans des berlines placées sur rails.
Remontant du fond où elle a déjà déposé plusieurs cargaisons d’ouvriers, la cage surgit du puits, s’immobilise sur les taquets. Les berlines chargées d’hommes y sont poussées et calées. Une sonnerie. La cage, glissant le long des guides, descend rapide, sûre ; s’arrête. C’est déjà l’accro¬chage. A 340 mètres sous terre.

Un manœuvre tire à lui les berlines qu’il gare sur une voie ferrée, en attente d’être emmenées vers les fronts. Les hommes sautent à terre et, par la bowette principale, chacun gagne son poste de travail.
Après 5 heures, place au matériel à descendre, place au charbon à remonter ! Plus de descente possible pour les hommes. Aussi, est-ce au pas de course que, parfois, certains retardataires gagnent la fosse. Ce 10 mars, le fils Carrière est de ceux-là.
Mais aujourd’hui, à cause de l’incendie, on est plus indulgent. C’est ainsi que Henri Wattiez a pu descendre à 5 h 20 et Léon Boursier un peu plus tard encore. Pour leur malheur ? …
Le jour se lève. Le ciel est clair, il fait frisquet. Le printemps approche. Une belle journée en perspective.
Soudain une secousse suivie d’un bruit sourd selon les uns, d’une violente détonation selon d’autres.
Il est 6 h 45. Dans les corons avoisinant les fosses 2, 3 et 4 des mines de Courrières, les portes, les fenêtres des maisons s’ouvrent. Partout on s’interroge.
– Mon Dieu, ce n’est pas à la fosse ? lance à son voisin une mère de famille inquiète.
Quelle fosse ? Celle de Billy-Montigny ? Celle de Méri¬court ? Celle de Sallaumines ?
Le directeur Lavaurs dont l’habitation jouxte l’enceinte de la fosse 2 est immédiatement alerté : quelque chose d’anormal s’est produit dans les chantiers du fond.
Il se rend aussitôt au puits 2, intact. Il donne des Instructions, part en hâte vers la fosse 3.
L’ingénieur Voisin descend prudemment dans le puits 2 avec un homme d’about. A l’étage 306, ils découvrent, évanoui, le chef-porion Lecerf qu’ils ramènent immédiatement au jour.
Vers 8 heures, nouvelle descente des deux hommes accompagnés cette fois d’un jeune galibot porteur de médica¬ments, Charles Casteyes de Montigny-en-Gohelle. Mais aupa¬ravant, Voisin recommande au mécanicien de ne pas descendre la cage au-delà de l’étage 258: plus bas, l’air est irrespirable.
La cage s’enfonce lentement, passe l’étage 258… Dans son désarroi, le mécanicien a oublié la recommandation de l’ingénieur ! Pour les trois hommes, c’est la mort certaine. La cage passe devant une galerie. L’homme d’about bondit, alerte le jour tandis que la cage continue à descendre. Le mécanicien réalise. La cage remonte, passe devant l’homme d’about abandonné dans la mine mortelle …
Voisin et Casteyes sont évanouis. La tête de l’ingé¬nieur, son pied, le bras du galibot pendent hors de la cage. Au jour, tout ce qui dépasse risque d’être sectionné, broyé. Dans le puits, soudain une secousse : le galibot bouge, la tête de l’ingénieur revient sur le plancher de la cage. Heureusement ! La cage surgit du puits : Voisin a le pied cassé, Casteyes le bras en bouillie …
Toute opération de sauvetage par la fosse 2 s’avère impossible : les gaz ont envahi le puits.
A la fosse 3, l’ingénieur principal Petitjean est remonté vers 6 h 30 après une tournée d’inspection dans le quartier où couve l’incendie ; l’ingénieur Barrault, son second, est au fond.
Petitjean se trouve à une quarantaine de mètres du chevalet quand soudain jaillit du puits au milieu d’un vacarme épouvantable un nuage de poussières retombant sur les diverses installations .
Tel un boulet de canon, un cheval est projeté en l’air. Le souffle a ravagé le moulinage, soulevé le chevalet.
Quelque peu abasourdi, Petitjean reprend vite ses esprits. Il court au puits. La cloison du goyot est démolie, l’aérage ne s’effectue plus correctement. Impossible de re¬monter la cage au fond : les parois du puits se sont rappro¬chées. Impossible de descendre par les échelles : le puits est bouché par un fatras de ferraille.
Lavaurs passe. Désobstruer le puits demanderait trop de temps. Pour atteindre les chantiers de la fosse 3, il faut descendre par le puits 4. Il faut faire vite.

Au 4, la cage, projetée à quelque 10 mètres en hauteur, est retombée de travers sur les taquets … Tous les carreaux du bâtiment central ont volé en éclats.

Georges Engelaëre d’Avion, occupé à réparer l’arma¬ture métallique du chevalet, a été projeté sur l’escalier de fer conduisant au moulinage où il gît, le crâne fracturé. Des camarades le transportent dans une pièce attenant à la loge du concierge.

L’ingénieur en chef Bar arrive sur les lieux peu après l’explosion. La cage du fond est calée à 383 m.

Sans prendre le temps de revêtir ses habits de fosse, Bar décide de descendre par les échelles. L’accompagnent l’ingénieur principal de la fosse Domézon et son adjoint, l’ingénieur Bousquet, le chef-porion Douchy, l’ancien chef porion Lecomte, le délégué mineur Dacheville.

Parvenus au-dessus de la cage, ils la libèrent… tandis qu’apparaissent à l’orifice du puits 11 trois mineurs de ce puits : Louis Lévêque, Louis Martin, Joseph Mary ; et peu après le porion-contrôleur Payen.

Hébétés, traumatisés, ils ont peine à répondre aux questions. Le souffle de l’explosion les a renversés sur le sol. Ils ont encore devant les yeux la vision de l’accrochage transformé en fournaise. Ils sont remontés par les échelles comme des automates. Ils sont saufs ! …
Entre-temps, au 10 de Billy-Montigny, la cage va et vient, remontant les mineurs de cette fosse auxquels se sont jointe un certain nombre de mineurs de la fosse 2.
Comme une traînée de poudre se répand dans les corons la nouvelle d’un coup de grisou. Un mot court de bouche à oreille : CATASTROPHE.
Vers les puits sinistrés, c’est aussitôt la course, la ruée d’épouses, de mères, de parents, de mineurs, d’enfants.
Devant le carreau des fosses, les grilles sont fermées.
La foule grossit de minute en minute, une foule que contiennent avec peine des gendarmes appelés à la hâte.
Le cœur angoissé, tous attendent des nouvelles. En vain. Les larmes coulent. ‘Des femmes sont atteintes de crises nerveuses : leur mari, leurs enfants sont là, sous terre.
Des milliers de personnes s’agglutinent dans l’avenue des fosses et dans les rues adjacentes. De partout accourt un flot ininterrompu de gens qui, se frayant un passage à l’aide des coudes, sont à la recherche de parents, d’amis susceptibles de les renseigner sur l’un des leurs …
L’administration, les grands quotidiens sont alertés. C’est la confusion générale.
A la préfecture d’Arras court la rumeur qu’une impor¬tante catastrophe minière a touché les puits 4 et 11 de Sallaumines. Au « REVEIL DU NORD» tombe la nouvelle d’une épouvantable catastrophe à Billy-Montigny.
Mais bien vite, la réalité apparaît, brutale : coup de grisou aux fosses 2, 3 et 4 des mines de Courrières … 1800 ouvriers au total sont descendus le matin dans ces trois fosses transformées en brasiers … La catastrophe dépasse en horreur tout ce que l’on peut imaginer.
A la fosse 2, sur les lieux, le maire de Billy-Montigny, Tournay, accouru dès l’annonce du sinistre. Les gendarmes locaux, renforcés par quelques agents d’Hénin-Liétard, main¬tiennent la foule.

Charles Casteyes est amputé sur place par les docteurs Minet et Boulogne, puis conduit à l’hôpital.

D’autres médecins, venus des concessions voisines, sont prêts à aider leurs confrères de Billy pour réanimer les asphyxiés. De Lille sont également arrivés le Docteur Colle, chef de clinique à la Faculté de Médecine, le Docteur Albert Debeyre, chef de travaux pratiques, deux médecins militaires, des internes et externes de l’hôpital Saint-Sauveur.

Plus de 400 personnes sont occupées dans cette fosse. Une dizaine de blessés ou malades ont été remontés dont l’ingénieur Peger, le chef-porion Lecerf, le porion Fossez, Louis Briou père et fils, Emile Bouilliez père et fils.

Où sont passés les autres mineurs? 200, peut-être plus, seraient remontés par la fosse 10. Il en resterait autant au fond, et impossible de descendre. A cause des gaz !

Simon, dit Ricq, délégué mineur à la fosse 3, était chez lui, rue de Bayon à Méricourt-Village, lorsqu’il entendit le bruit sourd de la déflagration.

Pas de doute pour lui, un grave accident est survenu. A cause de ce feu qui couve dans la veine Cécile. Il revêt sa tenue de mineur et court au 3.

Sur le carreau de la fosse, ils sont là plusieurs à discuter : Petitjean, les ingénieurs Drevet et Fournier, le porion d’about Clabecq. Pour eux comme pour les quelques mineurs présents, le 3 est le centre de l’explosion.

Un ventilateur fonctionne. Le mauvais air se fait rare. Il faut descendre coûte que coûte.

En guise de cage, un tonneau manœuvré dans le puits au moyen d’un treuil. A une centaine de mètres de l’orifice du puits, un enchevêtrement inextricable de planches cassées, de fers tordus : le puits est complètement bouché.
Face aux gardes, aux gendarmes d’Hénin-Liétard qui barrent l’entrée de la fosse où accèdent cependant journalistes et personnalités, la foule s’impatiente, s’énerve devant le silence qui plane sur le carreau de fosse. On ne peut pas descendre ! Mais ceux qui attendent, qui souffrent, peu¬vent-ils comprendre ? . • .

– Quatorze hommes seulement sont revenus … Il en reste 459. Et mes trois enfants sont là, au fond …

Un vieux mineur, prostré, attend qu’on lui rende ses fils…
A la fosse 4, le Docteur Lecat à son chevet, Engelaëre est décédé. C’est la première victime officielle.

Sur le carreau de la fosse, le directeur des mines de Lens, Reumaux ; le directeur des mines de Dourges, Robiaud ; le directeur des mines de Meurchin, Tacquet, ancien ingénieur du 3 ; et des ingénieurs des concessions voisines s’entre¬tiennent avec le directeur Lavaurs.

Sur place également, des médecins. Et une cinquantaine de gendarmes.

Bar sort du puits, se dirige vers Lavaurs. A 20 mètres de l’accrochage, toutes les bowettes sont effondrées. Bar retourne au fond.

Lecomte, remonté en même temps que celui-ci est bouleversé

– Ce que je viens de voir me rappelle un champ de bataille de 1870 ; il n’y a que morts et blessés.
Au 2, au 3, au 4, arrivent tant bien que mal à travers la foule un nombre imposant d’ambulances, de voitures tirées par des chevaux, chargées de matelas, médicaments, paquets d’ouate, gouttières, ballons d’oxygène.

Toutes les pharmacies des environs ont été dévalisées.

Des salles sont transformées en infirmerie. D’immenses baquets sont remplis de solutions d’acide picrique ; l’atmosphè¬re en est tout imprégnée. Des femmes préparent des boissons chaudes.
Près de trois heures se sont écoulées depuis l’explosion.

Quelques hommes seulement sont remontés. L’organi¬sation des secours est d’une telle ampleur que la foule prend conscience progressivement de l’immense désastre qui s’est abattu sur la corporation minière.

Tout est prêt pour sauver les victimes de la catastrophe. Malheureusement, il n’en paraît point …

C’est au 4 que finalement tous les efforts se concen¬trent. Sous la direction de l’ingénieur Dinoire, le mécanicien d’extraction réussit à rétablir le libre jeu de la cage. Le 4? C’est le seul puits dans lequel on puisse descendre.
Il est environ 10 heures quand court un bruit. Une cinquantaine d’ouvriers occupés dans un quartier du 11 auraient été ramenés à l’étage 300 par le porion-contrôleur Payen redescendu. L’espoir inespéré, mais entretenu en soi par chacun, de revoir enfin un être cher. L’anxiété. Le silence.
La cage est au fond. Le puits résonne de coups de trompe. A l’étage 300, tout est prêt. La cage remonte, arrive au jour.

Plusieurs mineurs en sortent titubants, hébétés. Pendant qu’on les réconforte, la cage redescend. Trois voyages. 44 mineurs sont sauvés ! Parmi eux, un blessé, les vêtements en lambeaux, le corps presque nu, gravement brûlé. On le transporte à l’infirmerie où son corps est littéralement enve¬loppé de bandes de gaze jaunies par l’acide picrique.
La foule s’agite, menace d’envahir le carreau de fosse. Les gendarmes ont peine à la contenir.
Qui sont ces hommes remontés? Chacun veut savoir. De loin, ils se ressemblent tous. Des épouses, des mères cherchent à reconnaître leur homme, leurs gosses.
Le regard vide, ils avancent lentement vers la foule qui se presse, franchissent la grille.
Pour leurs parents, pour leurs amis, c’est la joie. On s’embrasse. On pleure. Pressés de questions, ils ne peuvent répondre ; ils viennent d’un autre monde. Entraînés par les membres de leur famille, ils retournent chez eux, silencieux.

Que s’est-il passé au fond? Que se passe-t-il? …
Vers 10 h 30 arrivent d’Arras le préfet du Pas-de-¬Calais, Duréault, et l’ingénieur en chef du contrôle des mines, Léon ; suivis de près par des membres du parquet de Béthune.
Le chef-porion Douchy vient de remonter. Le préfet l’interroge.
– C’est horrible. J’ai vu une douzaine de cadavres près de l’accrochage. Plus loin, à une vingtaine de mètres, tout est éboulé, les bois sont tombés, les portes sont arra¬chées. J’ai été chercher aussi loin que j’ai pu un homme qui criait. C’est terrible ! … Et j’ai mon fils au fond, ajoute-t-il, la gorge serrée, tandis que le préfet lui serre la main avec émotion.
Un autre sauveteur a entendu des coups portés sur des tuyaux. Il y a encore des mineurs vivants, enterrés. Pas de doute possible.
Mais comment les secourir? Des sauveteurs tombent inanimés à cause des gaz qui commencent à envahir la fosse. De plus, la cage ne peut descendre en dessous de 300 mètres des guides tordues constituent un obstacle dans le puits.

Conformément au règlement, les ingénieurs de l’Etat prennent en main les opérations de sauvetage sous la direction de l’ingénieur en chef Léon. Celui-ci reste à la fosse 4 qui semble devoir être le centre opérationnel. Il envoie Heurteau au 10 et Leprince-Ringuet au 3.

La plupart des ingénieurs de la Compagnie sont occupés dans les puits ou au fond de la mine, tentant l’impossible pour sauver des victimes. La coordination des travaux de sauvetage apparaît difficile.

A Billy-Montigny, de la passerelle qui enjambe la voie ferrée des mines, on a une vue plongeante sur le carreau de la fosse 2… où il ne se passe rien. Le puits est envahi par les gaz.
Le 2 est relié au 10, et du 10 on peut aller au 3. Le 10 devient un centre de sauvetage où opère l’équipe médicale venue de Lille.
Aucune victime parmi les travailleurs de cette fosse remontés aussitôt après l’explosion. La plupart, commotionnés, sont retournés chez eux ; quelques-uns participent aux re¬cherches.
Un certain nombre de mineurs du 2 ainsi que quelques mineurs du 3 sont remontés par le 10. Combien ? Nul ne le sait. L’ingénieur Voisin a la joie d’apprendre que son sauveur, l’homme d’about, est de ceux-là.

Dans le bureau du chef de carreau, deux lits de camp sur lesquels reposent deux cadavres recouverts d’un linceul. Un mineur revêtu de sa tenue de travail entre, s’approche d’un lit, écarte d’une main tremblante le drap.
– Mon frère !
Charles DESCAMPS de Billy-Montigny est mort. Il avait 35 ans. A côté de lui, François CORDIER des Vieux Corons de Méricourt. Mort à 36 ans.
Dans une pièce contiguë, assis sur une chaise, pâle, enveloppé dans une couverture, le jeune ingénieur Pégheaire, sauvé par le géomètre Storet, se remet péniblement d’un début d’asphyxie.
Une vingtaine de blessés ont été remontés, certains dans un état désespéré. Les médecins s’affairent autour d’eux, tentent de les ramener à la vie en pratiquant la respiration artificielle.
Trois autres cadavres ont été ramenés à la surface dont celui du jeune Henri BERTIN, 18 ans, de Billy-Montigny, ramené par ses frères retournés aussitôt au fond à la recherche d’un autre des leurs : Alexandre, 16 ans.
Des équipes de secours sillonnent les galeries.
Près des barrières à l’entrée des fosses, des femmes crient leur douleur, profèrent des invectives à l’adresse des gendarmes et de ceux qui ont le droit d’entrer sur le carreau de fosse, qui savent et ne disent rien. Certaines s’évanouissent. D’autres, le corps secoué par des crises de sanglots, retournent à leur maison …
Un mineur échappé à la catastrophe s’abat subitement …
Un homme passe en courant. Une future mère l’inter¬pelle
– Et mon mari ?
– Il est resté au fond.
Elle s’affaisse, sans connaissance …
Des épouses, des mères n’ont pas bougé de leur domi¬cile. Les yeux rougis d’avoir pleuré, elles s’entretiennent à voix basse …

Interrogé alors qu’il retourne chez lui, le maire de Montigny-en-Gohelle, Arthur Houssin, répond, attristé

– On ne peut pas se faire une idée de ce que c’est. Il y aura au moins douze cents morts …
Toutes les routes qui convergent sur les fosses sinistrées sont noires de monde.
La population est calme, respectueuse de la douleur de ceux qui souffrent, anéantie par l’impitoyable destin.

Qu’à la suite d’un coup de grisou une fosse soit détruite, à la rigueur, c’est concevable. Mais que trois fosses soient ravagées, au même instant ; non, ce n’est pas possible …

Des nuages obscurcissent le ciel …
Au 3, pour accéder aux différents étages, il faut –« dé¬boucher» le puits, coûte que coûte.
A la lueur de lampes fumeuses, ingénieurs, porions, ouvriers mènent une lutte acharnée contre le fatras de planches cassées et de ferrailles tordues. Accrochés on ne sait comment, les uns coupent des planches à la hache, d’autres scient des fers, autant de débris que l’on remonte par le tonneau. Tels des acrobates, ils travaillent, à la merci du moindre incident qui les précipiterait dans le vide.
Après des efforts inouïs, enfin une première trouée ! On descend de quelques mètres. Et c’est encore un amas de décombres ! Même opération de déblaiement. Quelques mètres à nouveau gagnés. Et ainsi à plusieurs reprises.

Vers 15 heures, ils sont à 55 mètres de profondeur, et, en fin de journée, ils ont atteint 170 mètres. Mais là, impossible d’aller plus loin, impossible de se frayer un passage à travers les décombres : les débris forment un amas inextricable.

Entre-temps, Simon dit Ricq, a quitté te 3 pour se rendre au 10 …
A tout prix, il faut désobstruer le puits 3: n’a-t-on pas cru entendre des appels à un certain moment?

Reumaux propose d’employer de la dynamite. D’autres suggèrent de précipiter du haut du puits un bloc de fonte, de plus d’une tonne, à usage de contrepoids dans les plans inclinés. Avec la puissance que donnerait à ce bloc l’accélération de la pesanteur, ne peut-on espérer provoquer la chute générale des débris au fond du puits ? ou tout au moins une ouverture assez grande pour permettre le passage du tonneau ?
Petitjean, qui connaît bien l’état des lieux pour y avoir travaillé depuis le matin, n’est pas partisan de la dynamite. De son côté, Bar craint que le bloc, dévié dans sa chute, ne heurte les parois du puits, provoquant de nouveaux éboulements et réduisant ainsi la section d’aérage. De plus, Il faudrait prévenir les hommes susceptibles de se trouver aux abords du puits et les inviter à se garer. Or, il s’avère Impossible de faire passer à travers les décombres une lampe de sûreté, et un message.

Dans ces conditions, l’ingénieur en chef Léon décide de surseoir la décision, toutes dispositions étant néanmoins prises pour agir dans un sens ou dans l’autre si l’opportunité s’en faisait sentir. Il est environ 17 heures.
Au 4, les ventilateurs marchent à fond ; dans le puits, l’air devient plus respirable. Mais la cage ne peut toujours pas descendre au-delà de 300 mètres. Il faudrait la remplacer par une autre de plus petites dimensions, opération qui demanderait plus d’une heure. C’est trop. Au fond, des hommes meurent.

Combien sont-ils ? 852 descentes ont été enregistrées. 47 hommes ont été sauvés, auxquels il faut ajouter 125 mira¬culés. N’ayant pu gagner leurs tailles proches du foyer d’incendie, l’ingénieur les avait fait remonter. C’était quelques instants avant la catastrophe ! Manquent à l’appel 680 personnes.

Lucien et Henri Evrard, ainsi que d’autres mineurs, descendent sous la cage, scient les guides en fer rabattues dans le puits. Après une heure d’efforts inouïs, la voie est libre.

Un spectacle horrible attend les sauveteurs qui mettent pied au dernier accrochage : au milieu de cadavres déchiquetés, des blessés râlent.

Pendant que certains s’emploient à les faire remonter, d’autres explorent les galeries voisines. Partout des cadavres, partout des éboulements, partout du mauvais air.

Les sauveteurs sentent les premières atteintes de l’asphyxie. A une vingtaine de mètres de l’accrochage, Dinoire et Lafitte tombent. Vite, on les ramène à l’accrochage.
Entre-temps, quatorze corps ont été remontés.
Sur le carreau de la fosse, c’est le remue-ménage suivi par la foule anxieuse. Tirées par des chevaux, des ambulances se mettent en place ; c’est donc que des blessés ont été remontés.

Mais quels blessés ! Des hommes presque nus, dont la peau se détache par lambeaux. L’un est scalpé. Transportés sur civière à la lampisterie, ils sont pansés. Puis, chargés, un par un, dans les ambulances.

La grille s’ouvre. Une ambulance sort. La foule s’écarte. Qui est à l’intérieur? On veut savoir ! ‘Des hommes arrêtent le cheval. D’autres bousculent les gardes, montent dans la voiture, lancent à la cantonade le nom du blessé.
Et ainsi chaque fois qu’une ambulance quittera le carreau de fosse. Parmi les noms entendus, Pierre Devos de Sallaumines, le bras droit arraché ; trois grands brûlés Eugène Choisy, cabaretier au Pont de Sallaumines ; Gaspard Guilleman de Méricourt-Village, et Jean-Baptiste Lemal de Méricourt-Corons.

De la foule montent des sanglots. Les larmes coulent. A l’espoir succède la déception.

D’eux blessés, soutenus par des camarades, regagnent à pied leur domicile. Les questions fusent de partout : mon père? mon frère? untel? Des paroles incohérentes tiennent lieu de réponses : ils reviennent de l’enfer.
Les sauveteurs s’entretiennent sur le carreau de la fosse, se concertent : ils ont bien cru entendre des appels; mais, au fond, l’air est irrespirable.

– Y a-t-il encore des blessés? demande un journaliste.
– C’est fini ! Tous les vivants sont remontés. Il n’y a plus maintenant que des morts, répond tristement l’un d’eux avec un haussement d’épaules d’homme malheureux.
L’ingénieur Dinoire, remis sur pied, confirme

– Tout espoir de retrouver encore des vivants est dès à présent perdu ; il ne reste plus qu’à entreprendre méthodi¬quement le travail de pénétration dans les galeries. Des équipes dirigées par des ingénieurs se relayant d’heure en heure vont attaquer les éboulements et avancer avec précaution.
On sort deux berlines de la cage qui vient de remonter, deux berlines couvertes d’une toile, deux berlines qu’on roule vers l’infirmerie. Cinq cadavres presque nus, noircis, ratatinés, impossibles à identifier. L’un a le derrière de la tête emporté ; le reste de sa face ballotte sur les bras de l’homme qui le tire de la berline. Une vision insoutenable. Vivement, ils sont ensevelis.

La rumeur que tout espoir est perdu se répand dans la foule. Les familles ne peuvent se résoudre à l’évidence. Une activité fébrile règne. Des berlines sont chargées de bois. Les molettes du puits tournent. On se refuse à quitter les lieux. On attend. On espère. Qui sait? …
16 h 30. Espoir ! 26 ouvriers sont remontés, sains et saufs ! Deux sont légèrement intoxiqués : Henri Stueux de Méricourt-Village et Gustave Bour de Willerval.

Alcide Lefin d’Avion, François Cerf de Noyelles donnent des détails de leur odyssée. Ils travaillaient dans un plan incliné quand se produisit l’explosion : un bruit terrible, une impression que tout s’écroulait autour d’eux. Ils courent vers l’accrochage. Des éboulements, des cadavres, un air vicié. Ils rebroussent chemin, trouvent par hasard un coin aéré, s’y blottissent. Combien sont-ils alors? 36, dont le porion Adolphe GRANDAMME et son fils.

Au bout d’un certain temps, ils reprennent le chemin de l’accrochage, Grandamme en tête. A travers les éboulis, ils rampent, passent au-dessus de cadavres. Certains n’en peu¬vent plus, Grandamme va les chercher.

Sous un éboulement, un galibot crie : « Maman, Maman » . Il a le bras coupé. Impossible de le délivrer. Le gosse meurt.

La marche épuise. A force de revenir en arrière Gran¬damme faiblit. Un à un des mineurs sont abandonnés. Grandamme essaye encore d’en ramener un. Ses forces le trahissent. Il tombe. Il ne reviendra plus. Ni son fils.

26 seulement revoient le jour. Quelle vision ont-ils du fond? Tout est éboulé. Partout des cadavres, des morceaux de cadavres.
L’espoir de retrouver d’autres ouvriers vivants est perdu. Les cages ne remontent plus que des morts.
La nouvelle de l’effroyable catastrophe de « Courrières » s’est répercutée dans la France entière, et à l’étranger. Les témoignages de sympathie affluent de toutes parts.

Dans l’après-midi, le Président de la République Fallières adresse au préfet du Pas-de-Calais le télégramme suivant

« Le Président de la République, profondément ému par la nouvelle de l’effroyable malheur qui frappe la population minière de Courrières, s’empresse de vous charger de lui transmettre l’assurance de sa douloureuse sympathie.

« Un des officiers attachés à sa personne accompagnera ce soir MM. les ministres de l’intérieur et des Travaux publics et apportera sa part contributive aux premières victimes de la triste catastrophe ».

En signe de deuil. le Président Fallières ne participera pas le soir au bal de l’Ecole Normale.

Prévenu télégraphiquement, le député-maire de Lens, Basly, arrive vers 17 heures à la fosse 4. Il est accompagné de l’inspecteur général du service des mines au ministère des Travaux publics, Delafond. Ils sont accueillis par Lavaurs.

Partis de Paris à 17 h 25, le ministre de l’intérieur Dubief, le ministre des Travaux publics Gauthier accompagné du directeur des mines au ministère, l’officier d’ordonnance du Président de la République, le commandant Keraudren, arrivent par train spécial au Pont de Sallaumines vers 19 h 30. De là, ils sont conduits en voiture à la fosse 4.

1 100 mineurs au moins sont encore au fond, peut-être même 1 200. A-t-on quelque espoir d’en sauver encore? L’ingénieur en chef de contrôle des mines Léon montre à la délégation trois cadavres qu’on vient de remonter.

-Voyez dans quel état sont ces malheureux ! dit-il d’un ton désespéré.

– Tout espoir n’est pas perdu, ajoute Lavaurs. On a cru entendre, tout à l’heure, des coups de marteau dans la profondeur de la fosse numéro 3.
Sous une pluie battante, la délégation gagne rapidement Méricourt. Aux abords de la fosse 3, malgré le temps, la foule est toujours aussi compacte.

Les ministres sont conduits à l’orifice du puits. On peut descendre à 170 mètres, mais … L’ingénieur des mines Leprince-Ringuet expose rapidement aux ministres la situation.

Il est 21 heures. Les ministres et leur suite montent dans un fourgon. Une locomotive les emmène à Billy-Montigny où se trouve garé le train spécial. La délégation, qui compte revenir dimanche, sera hébergée à la préfecture. Le train part pour Arras.

Devant l’impossibilité de désobstruer le puits 3, Simon, dit Ricq, est parti au 10, avec l’espoir d’atteindre le 3 par ce puits.

Il descend, accompagné de deux camarades, Bouvier et Pompier, et d’un porion de la fosse 10, Pélabon.

Par la veine Julie, ils partent en direction de l’accrochage 280 de la fosse 3. lis y découvrent, morts, deux DEHAY, Charles et Ferdinand GUISGAND, Victor RUCART et son fils Pierre. Et un autre corps, difficilement reconnaissable celui de l’ingénieur Barrault sans doute.

Dans le puits, plus de guides. Ricq lance un appel. Pas de réponse. Il essaie une seconde fois. Du fond du puits, un S.O.S.:

– Ricq, viens vite nous débarrasser
Des hommes sont vivants ! Ils réclament des secours. Rapidement Pélabon, Ricq et ses camarades essaient de gagner les étages inférieurs. En vain ils tentent de s’approcher du barrage édifié pour circonscrire le feu dans la veine Cécile. Ils décident de descendre à 303 mètres par le beurtiat. Plus d’échelles. En désespoir de cause, ils empruntent un retour d’air qui les conduit à l’étage 303 par des écuries où gisent tous les chevaux. Ricq ouvre la porte d’aérage entre le puits et l’accrochage : devant lui, des camarades de travail vivants ! Ils sont 14 ! Un moment de joie débordante.

A l’étage en dessous, peut-être y a-t-il encore des survivants. Ricq lance plusieurs appels. Sans suite.

Il est temps de partir. La catastrophe, l’attente ont éprouvé les camarades retrouvés. Ils ne peuvent participer à d’éventuelles recherches.

Le groupe arrive cahin-caha à l’accrochage du 10, les sauveteurs soutenant, portant les sauvés au nombre de 17, trois autres ouvriers ayant été recueillis en cours de route. Il est 21 h 30.
Aussitôt après, Pélabon et Ricq se rendent au 3…

Entre-temps, Petitjean avait cru entendre des appels dans le puits. La mort dans l’âme, il ne pouvait rien faire 170 mètres seulement de puits, dont Leprince-Ringuet vérifie l’état, sont accessibles.

Sur ces entrefaites, arrivent Pélabon et Ricq dont Petitjean avait justement perçu les appels. Ils rendent compte de ce qu’ils ont vu aux accrochages 280 et 303, et du sauvetage de leurs camarades. De son côté, Leprince-Ringuet estime qu’on ne peut rien entreprendre dans le puits avant d’en avoir consolidé les parois.

Depuis longtemps, la nuit est tombée sur le pays noir. Aux abords des puits sinistrés, la foule des mineurs, parents et amis, est toujours aussi dense malgré la pluie qui tombe sans arrêt.

Elle piétine dans la boue, en proie à ce qui lui paraît être un cauchemar. Car, au fond des cœurs, subsiste un espoir. Elle attend. Elle espère malgré tout : un certain nombre d’ouvriers ne sont-ils pas prisonniers de la mine à cause des éboulements? L’atmosphère n’est pas irrespirable partout. Des hommes ne sont-ils pas remontés vivants au 4, au 10?
Mais pour la direction des mines, pour les sauveteurs qui ont pu mesurer l’étendue du désastre, les chantiers souterrains ont été ravagés sur une longueur de 3 km environ et une largeur supérieure à 1 km à la suite d’une explosion qui aurait pris naissance à la fosse 3 et dont les effets se seraient répercutés jusqu’à la fosse 4 d’une part et au voisinage de la fosse 2 d’autre part. Partout des cadavres …

Combien de mineurs sont descendus en ce matin tragique ? Environ 500 à la fosse 2, 440 à la fosse 3, 850 à la fosse 4. Au total, près de 1 800 hommes. 125 mineurs sont remontés du 4 peu avant la catastrophe ; 460 autres seraient remontés sains et saufs. Il resterait, ensevelis sous terre, plus de 1 200 morts : hommes brûlés, asphyxiés, déchiquetés, écrasés sous les décombres …
Au fond, les hommes d’une même famille travaillent bien souvent en équipe. Dans certaines maisons, on compte trois, quatre, cinq absents. Combien de familles sont dans ce cas? Cinquante, cent? …

Ainsi les Clin ont perdu quatre fils et leur gendre … Une femme a perdu son mari et ses cinq fils …

Dans une autre famille, trois frères, cinq beaux-frères, quatre neveux sont morts. Compte tenu des liens de parenté, c’est par vingtaine que l’on dénombre les victimes d’une même famille.

Corons de Méricourt, dans des files de maisons, pas un homme n’est rentré … Des familles entières sont anéanties.
Le bureau de poste de Billy-Montigny est resté ouvert la nuit. Une foule de malheureux s’y presse. Des télégrammes partent dans toutes les directions … « Père mort » … « Frères décédés » …

Il est 22 heures. Une jeune femme entre, éperdue ; se précipite au guichet. Le puits 2 est maintenant accessible. On vient de remonter des cadavres. Parmi eux, celui de son mari …
Extrait de  » Billy Montigny au coeur de la catastrophe de Courrières »

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Commune

Courrières 62710

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