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inondés Somme
en rapport à
Inondations (Picardie, Haute-Normandie)

Entretien du 21/03/2013 avec un sinistré (AF) des inondations de la vallée de la Somme du printemps 2001. Interviewer : EC

EC : Est-ce-que vous pourriez m’expliquer les étapes de l’inondation de 2001, telles que vous, vous les avez vécues ?

AF : Ben nous c’est très simple, on a vu l’eau qui arrivait d’en face et on s’est dit « bon, ben il y aura une petite inondation, il y a quelque chose qui ne va pas » puis c’est tout. On n’a pas été cherché plus loin. Et puis après il y a eu le maire qui est passé, il a dit « vous allez avoir de l’eau, vous allez être inondé, méfiez-vous ». Alors on s’est méfié et puis on avait mis des barrages aux portes, des dalles. Et puis avec du ciment et puis, bon, on a dit, cinquante centimètres c’est bon.
De cinquante centimètres, c’est passé à un mètre et d’un mètre c’est passé à un mètre cinquante et là on a dit bon, c’est pas la peine, car l’eau était tout partout. On avait surélevé les meubles. Les meubles ça servait à rien parce qu’on ne pouvait pas aller plus loin que le plafond. Le meuble là ici, on pouvait le lever que de vingt centimètres puisqu’il est à trente du plafond.

Donc là, on a été vraiment inondé, inondé, inondé ! Et puis alors nous, ce qu’on a eu c’est qu’on avait le problème, c’est que l’eau venait d’en face, mais elle venait à torrent, elle ne venait pas lentement. D’ailleurs, si j’avais laissé les grilles de ma porte fermées, je les aurai retrouvées là-bas au fond de mon terrain. Elles auraient été emportées. D’abord, le mur de devant qui est du béton, comme mon beau-père était entrepreneur en maçonnerie, on était une grosse entreprise de maçonnerie, on avait fait le mur en béton, hé ben, je peux vous garantir, vous allez le voir dehors, il est fendu. Pour dire la puissance de l’eau qu’on avait.
Alors on est resté comme ça et puis alors quand on voulait venir chez nous, on ne pouvait pas passer par les portes, on passait par la fenêtre, parce qu’il y avait trop de puissance, trop d’eau dans la maison pour pousser, pour rentrer, pour mettre, pour rentrer dans la maison. L’eau était plus puissante que nous. Et puis alors quand les pompiers venaient pour nous amener ici, puisqu’il fallait venir avec une barque, on était obligé d’accrocher la barque à la fenêtre de la salle de bain où il y a des barreaux en fer pour pas qu’on rentre quoi, une protection. On accrochait la barque et quand on avait fini ce qu’on avait à faire, on voulait remonter dans la barque et partir, il fallait qu’un pompier se mette derrière pour donner un coup de main à la barque pour partir, sinon elle ne pouvait pas partir, on partait en arrière. Ou alors c’était moi qui me mettais derrière et je poussais la barque jusqu’à la route. Une fois qu’on était à la route, après ça allait. Mais autrement, c’était un torrent, là devant c’était un torrent.

EC : Vous avez vu l’eau monter en combien de temps ?

AF : L’eau elle a monté chez nous ici là, c’est bien simple, en une heure et demi, elle a monté 80cm. Et après, en… mettons, une demi-heure, elle est montée à un mètre passé. Un mètre vingt, un mètre dix, je n’ai pas mesuré exactement parce qu’on essayait de mettre tout ce qu’on pouvait à l’abri et on n’a pas pu. Puisque même la salle à manger, ben le peintre est venu il y a huit jours, le plafond, c’est du « bacula » qu’on appelle ça, le plafond c’est du plâtre mais c’est des lamelles de « bacula » qu’on mettait dans le temps, ça s’appelait du bacula. On clouait ça sur les machins et puis après on mettait le plâtre. Et l’eau qui était là, ça faisait trois mois puisqu’on l’a eu trois mois, elle a imbibé le plâtre. Et le bois était derrière, il s’est abîmé et il a éclaté, c’est pour ça que vous voyez qu’il y a des raccords. Par contre, les murs, ils ont été tous refaits. Le plâtre, il sautait comme… On faisait ça et il tombait. Il était mouillé, mouillé, mouillé. Par contre, une chose qu’on n’a jamais fait, c’est faire sécher la maison par les appareils artificiels si vous voulez. On a laissé sécher lentement, par elle-même. Comme on avait la possibilité d’aller loger chez mes enfants, qu’elle, elle n’a pas eu l’eau, elle a eu l’eau en dessous de la maison mais pas au-dessus.

Voilà, on a passé le mauvais temps comme ça. Et puis alors, les affaires, elles ont été détruites. On avait un bureau qu’on avait surélevé d’un mètre cinquante, ben ça s’est écroulé, on ne sait pas comment, il y avait tellement d’eau, tellement, tellement, est-ce qu’en ouvrant la fenêtre, on a fait une vague d’eau ? Tout est tombé dans l’eau, on a tout perdu. Tous les papiers étaient perdus. On avait monté tout ce qu’on a pu en haut mais là, en bas, c’était la catastrophe nationale (rires). Un mètre trente exactement. Puisqu’il était juste à ras de la poutre. La poutre elle s’est fendue, elle s’est lézardé si vous voulez. L’insert, lui, l’insert, c’est très simple, le carreau il a explosé par la pression de l’eau. Parce qu’on a demandé comment que ça se fait que le carreau il est cassé, il a dit « cherchez pas, c’est la pression de l’eau qui a pété le carreau ». Oui le carreau était ouvert comme ça. Ça faisait un Y si vous voulez.

EC : D’accord. Et vous disiez que ça a duré…

AF : Trois mois. Trois mois, on a eu de l’eau. Et après il a fallu attendre un an, un an et quelques pour que ça sèche. Mais sécher naturellement, pas sécher avec des appareils. Moi j’ai eu mon voisin, il a séché avec un appareil et maintenant, ils se rendent compte que la maison se fend, elle se lézarde. Ben oui, parce que c’est des maisons en briques qui ont été faîtes avec de la chaux et puis un peu de sable ou du torchis ou j’en sais rien comment que ça a été fabriqué à ce moment-là puisque c’est des vieilles maisons. Et là, ils ont des ennuis, ils ont été, tout a été à neuf impeccable et maintenant ils se rendent compte que la maison se lézarde par dehors. Les briques elles font des… Alors ils ne savent pas quoi faire pour… Alors, il faut mettre la main au porte monnaie pour faire faire, faire les joints.

EC : Et comment s’est déroulée la fin de l’inondation ?

AF : Ben, la fin de l’inondation, c’est parti tout doucement. Un beau jour, au matin, on arrive : « Oh ! », il y avait au moins, quatre vingt centimètres de baisse. Oh bah on a dit « ça y est, c’est parti ». Ben non, c’était pas encore parti, il a fallu attendre encore au moins un mois, un mois et demi et puis après petit à petit ça partait tout doucement. Parce que les écluses n’étaient pas ouvertes comme il fallait. Ils n’ouvraient pas les écluses comme il fallait. Sinon tout aurait parti d’un seul coup et ça aurait abîmé les bateaux qui étaient là-bas au port à St-Valery. C’était embêtant mais c’est comme ça.

EC: Pendant les inondations vous étiez relogés chez vos enfants ?

AF : On a été relogé, on eu un mobil home, on l’a eu à peu près un mois, un mois et demi. C’était pas très pratique parce qu’on était encore un peu à l’hiver si vous voulez et il n’était pas isolé. C’est-à-dire, ils nous avaient mis un chauffage, c’était un radiateur électrique pour le mobil-home. Il était assez important et on avait à peu près 7 degrés à l’intérieur.

EC : Et ça, pendant combien de temps ?

AF : Ça, ben on l’a eu jusqu’au mois d’août, je crois, puisqu’on est resté, on y allait de temps en temps. Il nous a plutôt servi, pas pour habiter mais pour emmagasiner les affaires pour nous. Pour pouvoir après récupérer et faire sécher certaines choses. Mais autrement, on a été carrément chez mes enfants.

EC : D’accord, et ça pendant combien de temps alors ça a duré le relogement ?

AF : Ah, ben nous on est resté un an, un an et demi par là, chez eux.

EC : Est-ce-que vous pourriez expliquer comment vous avez supporté, vous, l’inondation de votre maison ?

AF : Ah moi, j’ai supporté mal parce que je savais pour quelles raisons ou je me doutais pour quelles raisons on a été inondé. Ils ont dit c’est la Somme, c’est… Ou alors on voyait tout ce qu’on peut…
Parce qu’il y a une coïncidence qui est quand même bizarre… Je connais Paris pas mal. Parce que je faisais pas mal, j’allais souvent à Rungis, j’allais trois fois par semaine en général et alors j’ai constaté d’un seul coup, que les berges sur le côté de la Seine, elles étaient sec. Et ça coïncidait avec le fait qu’il y allait avoir les fameux messieurs qui allaient voir pour faire les Jeux Olympiques. Alors du jour au lendemain, les berges elles étaient sec. Cette eau-là, elle est partie quelque part. Alors il y en a qui m’ont dit « Monsieur, il n’y a pas de robinet ». Alors je dis, « Mais il y en a des robinets », parce qu’entre la Seine et puis alors le canal du nord et la Somme, il y a une rivière qui s’appelle l’Allemagne. Mais ça vous pouvez regarder sur n’importe quel truc, ils ne l’ont jamais mise. C’est par l’Allemagne que l’eau arrivait. C’est comme vous diriez la rivière de Rouvroy avec la Somme.

EC : Donc ça c’est un des éléments qui fait que vous avez mal supporté…

AF : J’ai mal supporté parce qu’ils nous ont mis dans le caca. Et maintenant qu’on est dans le caca, ben bon d’accord, les assurances, mais avec les assurances monsieur on y laisse des plumes et puis des grosses. Et puis il y a des choses qu’on tient, qui n’ont aucune valeur pour vous ou pour quelqu’un d’autres mais pour nous personnellement c’est les affaires de nos parents, de nos grands parents et on y tient. C’est un truc moral, c’est pas un truc qui vaut de l’argent, qui vaut de l’or, c’est moralement que ça nous tient. On a des photos, on ne voit plus personne dedans alors qu’elles n’étaient pas ici, elle étaient là-haut, au premier étage. On ne voit plus rien dessus. Alors, ça c’était des photos qu’on avait de nos parents, de nos arrières parents et il n’y a plus rien.

Bon, moralement, qu’est ce que vous voulez, il faut subir. On a subi et puis c’est tout. Parce qu’ils ne nous ont pas demandé notre avis pour nous envoyer l’eau. Parce que les nappes. C’est très beau de dire les nappes qui sont pleines. Mais moi je n’ai jamais vu des nappes envoyer de l’eau à torrent comme ici il y avait. Qu’on pouvait même pas… un bateau avec un moteur puissant, c’était les pompiers… Dans le bateau, on montait quand même à douze. Dans le bateau, le moteur n’arrivait pas à sortir de ma propriété, il fallait qu’on le pousse, alors c’est pas logique ça. Vous n’allez pas me dire que les nappes d’eau envoyaient du courant comme ça, c’est pas vrai ça. Il y a un os hein. Moi je dis il y a un os. Moi je dis, il y a ça.

EC : D’accord. Donc il y a vraiment deux éléments : il y a cette partie là de l’explication des inondations et le fait aussi que vous ayez perdu beaucoup d’effets personnels…

AF : Ah, ben des effets personnels, on a quasiment tout perdu. C’est pas valeur argent, je le dis tout de suite, ne pensez pas à ça. Pensez plutôt moral, des trucs, des fois c’est bête, c’est un petit truc, un petit laïus, une photo, un… que vous n’aurez plus jamais, c’est fini… c’est votre famille, elle disparaît hein ! Et puis ça vous ne pouvez rien faire, vous ne pouvez pas aller voir un photographe et lui dire « faîtes moi la photo », il va dire « quelle photo ? ». Le papier était blanc, brouillé, noir. Enfin, je vous dis une photo comme ça, je ne vous dis pas tout parce qu’il y en a des affaires qu’on a perdu. Puisque nous on est un peu des… des… comment dirais-je… On retient pas mal de choses anciennes. Il y en a qui disent « oh, bah ça ça sert plus, hop, à la poubelle ». Nous, non, on garde. On est des gardeurs ou j’en sais rien, on est…

EC : D’accord… On reviendra justement là dessus. Est-ce que vous saviez que votre maison était vulnérable aux inondations ?

AF : Non. Depuis 1947 on est là, on n’a jamais vu de l’eau ici. C’est pas d’hier. Et le monsieur qui était là, c’était monsieur… Le propriétaire… Parce que les parents ils l’ont racheté… les parents à ma femme qui l’ont racheté… C’était Monsieur X. Et monsieur X il a vécu jusqu’à 96 ans et il n’a jamais vu d’eau non plus. Alors…

EC : Oui, c’était un événement exceptionnel…

AF : Non, c’est pas exceptionnel, ils ont vidé la Seine, ils nous l’ont envoyé et puis c’est tout, terminé. On n’en parle plus. Ils ont dit « allez hop, on fait un vide ».

EC : Pourriez-vous préciser quels types de dommages matériels vous avez subi ? Vous m’avez dit que vous aviez tout perdu…

AF : Ah oui, en meuble, tout ce que vous voyez là c’est des meubles qu’on a rachetés. Tous à la poubelle. Parce que le meuble par lui-même, l’eau qui était là, elle n’était pas saine, c’était de l’eau d’égout, de fosse septique… j’en sais rien moi, je suis pas chimiste. Mais quand vous rentriez ici, ça sentait très mauvais. Alors qu’on aérait puisqu’en haut on laissait les fenêtre ouvertes donc c’était aéré… He bien, malgré ça, incroyable comment que ça puait. Et les… ceux qui ont passé en toubib, ils nous disaient toujours, vous prenez, avant de faire quoi que ce soit, un seau d’eau, de la javel et quand vous avez fini, même si vous avez des gants, vous vous lavez les mains avec l’eau de javel et les gants parce que sinon vous attraperez de l’eczéma et il y a beaucoup de gens dans le coin qui ont de l’eczéma.

EC : D’accord. Vous me parliez tout à l’heure du plafond, mais est-ce que les murs se sont effondrés, est-ce que…

AF : Non, les plâtres se sont effondrés mais les murs n’ont pas bougés. Mais moi je… Comme on savait ce que ça valait, comment qu’elles étaient construites les maisons, on n’a jamais voulu… Parce que les assurances ont voulu nous mettre des appareils pour sécher la maison. On a dit « non, on n’en veut pas ». Alors ils nous ont fait tout un tas de baratins mais allez leur raconter à ceux qui ont les maisons qui se lézardes, il n’y a pas que notre voisin, il y a d’autres voisins qui ont les maisons qui se lézardes…

EC : D’accord. Et vous disiez que le peintre était venu il y a huit jours pour le plafond. Et ça c’est dû aux inondations ?

AF : Ah, c’est dû aux inondations. Les plâtres, c’est moi qui les ait fait et maintenant malheureusement je ne peux plus, j’ai mon tendon de mon épaule qui s’est cassé. J’ai eu un retour de manivelle dans la voiture. Et elle m’a cassé le tendon de l’épaule. Parce que je suis mécanicien et on répare beaucoup de vieille bagnole… Je ne sais pas, je n’ai pas compris comment que ça a pété parce que des bagnoles, y en a des bagnoles. Là on en a une petite partie. Vous allez voir que c’est pas une ou deux voitures qu’on a. Tout ça c’est des vieilles. Ça c’est la cour. ça c’est mon beau-fils et ça c’est les voitures qu’on avait. Moi la mienne je savais où elle était parce que l’antenne était restée droite. J’ai eu un XM, elle tourne d’ailleurs, elle marche très bien.

EC : D’accord, donc là vous réparez encore les voitures qui ont été touché par l’inondation ?

AF : Ah oui, moi c’est mon dada. Et tout ça, ça a été, c’est les voitures qui ont été inondées et après il a fallu les remettre en état et tout et les assurances n’ont rien donné. Même pas pour la mienne et pourtant elle était assurée. He ben, rien du tout. Non. Si, ils vous donnaient quelque chose si vous la mettiez à la ferraille. Moi je n’allais pas mettre ma voiture à la ferraille, elle marche très bien. La preuve, elle tourne hein ! On peut la mettre en route quand on veut.

EC : Est-ce-que parmi les dommages que vous avez subis, il y en a certaines qui vous ont affecté plus que d’autres ?

AF : Ben, vous savez…Oh ben des effets personnels… il y en a eu des tas. On a eu du linge qu’on a du jeter parce qu’il sentait mauvais et puis qu’on avait peur de le mettre après, après nettoyage. C’est bizarre parce qu’on avait par exemple des manteaux qu’on apportait au teinturier pour qu’il nous les passe aux teintures, enfin au perchlo. Et ben, je peux vous garantir… ou alors c’était des effets psychiques, j’en sais rien, on ressentait notre odeur de l’eau. Là, il y a encore des voitures qui sont dans l’eau, tout est dans l’eau. Et là c’est la fin, là c’était la fin de l’eau. Alors nous, on ne passait pas par la porte, on passait par ici parce que les fenêtres, il a fallu les changer puisque le bois, malgré que ce soit du chêne il avait quand même vrillé mais il y avait des fentes qu’on sentait…on mettait la main, on sentait l’air passer à fond les gamelles. On en a jeté des meubles, je vous dis, tout les meubles qui étaient ici… Regardez même celui-là, il était beau, il était vernis, vous savez les meubles vernis. He ben il a fallu le mettre à la poubelle. Tous, ils ont été tous remplacés.

EC : Est-ce que vous pourriez préciser quelles ont été les conséquences à terme pour vous de cette inondation ? Après coup… Vous m’avez déjà parlé du rachat des meubles, des problèmes d’assurances… Est-ce qu’il y a d’autres choses ?

AF : Les problèmes d’assurance, on y laisse des plumes. Nous on était assuré pour le neuf. C’est à dire, la maison s’écroule, on vous refait une maison pareil. C’est pas vrai, c’est une menterie. Les assurances c’est pas vrai. « Oh bah, y a ceci, y a cela, y a ci, y a ça, les meubles, les… tout ça ». Par contre il y a une assurance qui nous a très bien… je ne sais pas si j’ai le droit de dire le nom, c’est la XYZ, rue X, alors eux aucun problème. Ils sont même venu alors même qu’on venait d’être inondé, ça faisait peut-être 4 jours ou 5 jours qu’on avait un mètre d’eau et le gars il s’est déplacé de son bureau et il est venu demander si on avait besoin d’aide financière. Ils étaient prêt sà nous donner de l’argent pour qu’on puisse manger, qu’on soit mal pris ou qu’il faut quelque chose.
Tandis que les autres, on était à la ZYXW, là c’était catastrophique. Là, il a fallu attendre deux ans pour avoir des sous. On a eu que ça, que des problèmes.

C’est à dire les habits, il a fallu qu’on rachète des habits parce que ça puait tellement qu’on ne voulait même plus les remettre, on avait peur d’attraper des trucs. Parce que même si vous preniez un habit, vous sortiez dehors, « hmmm, vous tombiez raide ». C’était incroyable. C’était imprégné dedans, moi j’ai lavé toute la maison avec de l’eau de javel presque pure. C’est bien simple, je mettais un seau de dix litres et trois berlingots de javel dedans. Du gros berlingot hein, trois. He ben, j’ai lavé tous les murs de la maison pour arriver à enlever l’odeur et ça a traîné encore cinq – six mois avant que l’odeur parte. Cette odeur… Moi j’en veux que c’était… Qu’est ce que vous voulez, c’est de l’eau qui arrive mais c’est de l’eau qui va dans les fosses septiques, qui va dans les purins, qui va, je sais pas moi, au tout à l’égout. Tout était… Je vous dis, ils sont passé avec des hauts parleurs et ils nous ont bien spécifié de préparer l’eau avec de la javel parce qu’on pouvait attraper de l’eczéma et il y a beaucoup de monde qui a de l’eczéma.

EC : Et du coup vous êtes revenu dans la maison à partir de quel moment ?

AF : Au bout de deux ans.

EC : C’est-à-dire, une fois que vous aviez repeint…

AF : Non, non, non, on n’avait pas repeint, on était en train de tout casser, on était en train d’élever le plâtre, les plaques qui se décollait, on les a enlevées et puis après on refaisait du plâtre.

EC : D’accord, et une fois que ça c’était fait, vous êtes revenus après ?

AF : Non, on avait refait notre chambre et puis on allait coucher là et on allait manger chez ma fille, voilà. Et puis après on s’est organisé pour faire notre manger ici. Et puis après, on vivait plus par ici que chez eux parce qu’il fallait tous les jours, tous les jours, on faisait quelque chose.

Ca n’a pas été marrant. Et puis on a eu pas mal d’aide. Des bénévoles qui sont venus pour nous dégager un peu la cour. Parce qu’il y avait des portes, il y avait des palettes, il y avait des pneus, il y avait des congel’, il y avait tout un tas de trucs qui s’était amassé là puisque c’était le courant d’eau. Et… quand j’ai… quand tout a été fini, fini, que j’ai pu aller jusqu’au bout de notre propriété puisqu’elle va jusqu’au champ de course et il y a une rivière qui nous sépare… He ben sur les barbelés qui ont été arrêtés, j’ai enlevé à peu près 40 à 50 congélateurs, frigos avec la viande dedans, les affaires dedans… Les victuailles dedans !
Et puis après, il y a cinq-six ans, en voulant couper de l’herber avec mon petit tracteur, j’ai buté et puis j’ai dit « tiens, qu’est-ce qui se passe là-dedans, je n’arrive pas ». C’était une roue de tracteur mais des grandes roues comme ça. Une roue, elle fait à peu près 300 kg puisqu’on a dû être à trois pour la mettre dans le camion à la grange. Parce que je lui dis, moi je n’en ferai rien de cette roue-là. Je dis « si vous avez un cultivateur qui est mal pris, qui… », il me dit « c’est une roue de remorque », je sais pas, mais des grosses roues. Le pneu il faisait peut-être 40 cm de large. Et en bon état. He ben elle était dans l’herbe là, je l’ai même pas vu, je sais pas…

EC : Au moment des inondations, vous étiez marié comme aujourd’hui ?

AF : Oui, oui.

EC : Avec maintenant douze ans de recul, quel regard vous portez sur cette catastrophe de 2001 ?

AF : Je pense que… Les… L’un et l’autre, ils ont voulu nous noyer quoi (rires). Il fallait qu’ils débarrassent l’eau pour avoir la Seine et puis avoir le contrat des jeux Olympiques mais on l’a pas eu. Ça c’est vache parce que non seulement on ne l’a pas eu mais on a quand même dérouillé.

EC : Est-ce que vous pensez que cet événement a changé quelque chose en vous ?

AF : Non, je ne pense pas…

EC : Est-ce que cet événement a pu changer l’investissement que vous avez habituellement dans votre maison ?

AF : Non… Non parce que je pense, que ça ce sera pour les enfants alors… Au contraire, j’essaie d’améliorer toujours un peu… C’est tout.

EC : Il arrive parfois qu’une catastrophe crée de bouleversements dans la vie des personnes mais paradoxalement, ces bouleversements peuvent parfois s’avérer positif… Avec le recul, qu’est ce qui a changé favorablement pour vous ?

AF : Favorablement, il n’y a rien qui a changé, je suis toujours mon petit train train. Parce que moi j’ai, je viens de descendance espagnole donc on a subi la guerre en Espagne, et puis après quand on est arrivé en France on a subi l’Allemagne, j’étais en Dordogne et là on a subi encore de gros ennuis. Alors vous savez, c’est pas que je suis rôdé mais comment vous dirais-je… Je refais surface à chaque événement. Et faut pas se laisser aller hein, parce que si vous vous laissez aller, vous êtes foutu. Nous on a eu notre voisine comme je vous disais tout à l’heure, elle, elle est décédée des suites de… Elle n’a pas supporté ce qui s’est passé. Elle est morte de ça. Ça a gambergé, gambergé… Bon, vous me direz, elle avait quand même un certain âge… quand ça lui est arrivé, elle avait bien 75 ans… Mais elle a pas supporté ce truc. Combien de fois ma femme elle lui a remonté le moral et puis tout mais c’était comme ça. Il y a des gens qui se laisse aller plus vite que les autres. Ils arrivent pas à surmonter les ennuis qu’ils ont eus. Moi j’ai passé les ennuis, il n’y a pas eu de problèmes.

EC : Est-ce-que le fait de vivre cette inondation a changé quelque chose dans votre famille, en positif ou en négatif ?

AF : Non… Non, on est toujours aussi unis, on est toujours pareil. On n’a jamais été mal uni, on a toujours été… c’est un cocon si vous voulez.

EC : Est ce que le fait de vivre cette inondation vous a appris quelque chose ?

AF : Oh… Ça ne m’a pas appris grand chose parce que… Qu’est ce que vous voulez faire ? C’est pas nous qui menons la barque et puis ceux qui mènent la barque ils font ce qu’ils veulent, ils ne vous demandent pas votre avis. Parce que pour eux vous êtes une plume. Alors…

EC : Combien de personnes vivaient avec vous au moment des inondations ?

AF : Que ma femme et moi.

EC : Avant les inondations de 2001, vous était-il arrivé d’être inondé ?

AF : Jamais.

EC : Depuis est ce que vous avez été de nouveau inondé ?

AF : Ah non, c’est fini.

EC : Dernière question concernant les inondations : est ce que vous pourriez expliquer quelles raisons vous ont amené à vous investir dans l’association AVIA ?

AF : Ben, c’est à dire, pour aider les autres qui perdent un peu les pédales, qui ne savent pas quoi faire, qui sont perdus, qui savent pas où se… faire quoi que ce soit…
Ils ont peur d’aller à la mairie, ils ont peur d’aller ceci, ils ont peur d’aller cela… Moi j’ai pas peur d’aller voir n’importe qui… Il faut aller voir le Président de la République, ça me dérange pas. C’est un gars comme moi. Pour moi, c’est un être humain, il est peut-être plus intelligent que moi , question savoir-vivre, mais moi je pars d’un principe très simple. Il y a des gens qui ont Bac plus… qui ont ceci, qui ont cela, et que moi je saurais pas faire ce que eux ils font mais moi je vais les prendre et je vais les mettre devant une voiture et je vais leur dire « déshabillez moi la voiture, déshabillez moi le moteur et mettez la en route ». He ben le gars, il ne saura pas le faire. Nous avons chacun notre savoir-faire. Lui il est très intelligent pour certaines choses. Moi j’ai mon intelligence pour les miennes. Donc nous sommes égaux.
Moi je pars de ce principe là, c’est peut-être bête mais c’est comme ça. Je pars de ce principe là, nous sommes des êtres humains qui sommes sur la Terre et puis c’est tout, chacun a son utilité, c’est ça que je cherchais, son utilité. Vous vous avez votre utilité de rechercher ça, moi j’ai mon utilité de faire les bagnoles, de les remettre. Parce que j’estime que jeter les voitures anciennes à la poubelle, c’est jeter son patrimoine. Enfin, c’est mon point de vu personnel, chacun pense ce qui veut. Par exemple, celui qui est très intellectuel, il va dire « ça, c’est poubelle ». Moi, je suis pas aussi intellectuel que lui mais je pense qu’il faut garder parce que c’est un patrimoine, c’est notre bien à nous, notre savoir, garder un peu de ce qu’on était capable de faire. D’accord, il y a une amélioration formidable à l’heure actuelle sur les ordinateurs, tout ce que vous voulez mais qu’est ce qui se passe avec les ordinateurs ? Combien de fois il y a des ennuis sur des voitures ? Et puis j’en passe…

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